Au Caire, la place Tahrir, épicentre de la révolte, était noire de monde. La mobilisation ne montrait aucun signe d'essoufflement malgré les nuits fraîches, la fatigue et les conditions de vie spartiates sur ce rond-point devenu un village de tentes retranché.
La foule a réservé un accueil triomphal au cybermilitant et cadre de Google Wael Ghonim, libéré lundi après 12 jours "les yeux bandés" aux mains des très redoutés services de sécurité d'Etat. "J'aime à appeler ça la révolution Facebook mais après avoir vu les gens ici, je dirais que c'est la révolution du peuple égyptien. C'est formidable", a lancé le jeune homme, entouré par des milliers de manifestants.
Un emblème pour la contestation
Devenu un symbole de la contestation, Wael Ghonim a confirmé dans une interview à la chaîne privée Dream 2 qu'il était l'administrateur de la page Facebook "Nous sommes tous Khaled Saïd", du nom d'un jeune homme battu à mort par la police, un mouvement qui a joué un rôle-clé dans le lancement du mouvement.
"Je ne suis pas un héros, vous êtes les héros, c'est vous qui êtes restés ici sur la place", a-t-il dit aux manifestants. "Le peuple veut faire tomber le régime", pouvait-on lire sur des banderoles. "Nous sommes le peuple, nous sommes le pouvoir", scandaient certains.
D'après des photographes de l'AFP place Tahrir, le nombre de manifestants a dépassé celui des rassemblements précédents. Selon des témoins à Alexandrie, il en était de même dans la grande ville du nord de l'Egypte. "Aucune de nos demandes n'a été entendue", a expliqué Mohammad Nizar, 36 ans, place Tahrir. "Ils ont annoncé une augmentation des salaires. Ils essaient de nous leurrer. C'est un pot-de-vin politique pour réduire le peuple au silence".
Tentative d'apaisement
Dans une tentative d'apaisement, Hosni Moubarak, 82 ans et presque 30 ans à la tête de l'Etat, a annoncé la création d'une commission pour amender la Constitution (lire encadré), dans le cadre du "dialogue national" entamé dimanche entre le pouvoir et l'opposition dont, pour la première fois, les Frères musulmans, jusqu'ici bête noire du régime.
Lundi, le chef de l'Etat a promis une hausse de 15% des salaires des fonctionnaires et des retraites à partir du 1er avril. Il a aussi demandé la formation d'une commission d'enquête sur les violences du 2 février place Tahrir, où des affrontements meurtriers ont opposé pro et anti Moubarak. L'opposition conteste notamment les articles de la Constitution liés aux conditions très restrictives de candidature à la présidentielle et au mandat présidentiel.
Dans tous les cas, les mesures politiques -y compris l'annonce le 1er février du président qu'il ne briguerait pas un sixième mandat en septembre- n'ont pas apaisé la colère des protestataires qui exigent toujours un départ immédiat de Hosni Moubarak.
Départ imminent du président?
Des scénarios sur son départ sont envisagés par la presse étrangère. Le site de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel écrit ainsi qu'il pourrait venir effectuer "un bilan médical prolongé" en Allemagne. Le gouvernement allemand a toutefois assuré qu'il n'y avait eu "ni demande officielle, ni demande officieuse" en ce sens.
Mardi, les Etats-Unis ont jugé "crucial" que l'Egypte progresse vers une transition démocratique "en bon ordre", tandis que la France a appelé à "l'émergence des forces démocratiques" pour une transition qui doit se dérouler "sans violence et aussi rapidement que possible".
Au Caire, de nouveaux magasins et restaurants ont rouvert et de nombreux Cairotes reprenaient le chemin du travail. Le couvre-feu reste en vigueur dans la capitale, à Alexandrie et Suez (est) de 20h00 à 06h00. Depuis le 3 février, les manifestations se déroulent le plus souvent dans le calme.
afp/os
Réforme constitutionnelle en vue
Hosni Moubarak a "signé un décret présidentiel en vertu duquel il a formé une commission qui aura pour mission d'apporter des amendements à la Constitution", a annoncé mardi le vice-président Omar Souleimane à la télévision d'Etat après une rencontre avec le président égyptien.
Le chef de l'Etat a "souligné la nécessité de poursuivre le dialogue, pour passer des lignes générales à une feuille de route claire au calendrier précis, en vue d'une transition pacifique et organisé du pouvoir, dans le respect de la légitimité constitutionnelle", a poursuivi Omar Souleimane.
Les amendements concernent le nombre de candidatures à la présidentielle ainsi que le mandat présidentiel. Le 1er février, Hosni Moubarak, 82 ans et au pouvoir depuis 29 ans, a annoncé qu'il ne briguerait pas un sixième mandat en septembre, et appelé à "débattre d'un amendement aux articles 76 et 77 de la Constitution pour changer les conditions de la candidature à la présidentielle et limiter les mandats".
L'article 76, controversé, a été amendé en 2007. Il établit des conditions strictes pour se présenter à la présidentielle, notamment pour les indépendants qui doivent réunir le parrainage de 250 élus émanant de trois institutions différentes, toutes dominées par le parti au pouvoir. L'article 77 établit la durée du mandat à six ans, pour un nombre illimité de mandats.
Un premier bilan fait état de 300 morts
Des heurts entre policiers et manifestants pendant les premiers jours de la contestation, puis entre militants favorables et opposés à Hosni Moubarak le 2 février, ont fait près de 300 morts, selon l'ONU et Human Rights Watch, ainsi que des milliers de blessés.
La crise risque de coûter cher à l'économie du pays le plus peuplé du Moyen-Orient -au moins 310 millions de dollars par jour selon le Crédit Agricole- l'instabilité ayant fait fuir les touristes et pouvant refroidir durablement l'ardeur des investisseurs étrangers.
Mardi, la banque centrale égyptienne a injecté de "larges sommes en dollars" sur le marché pour juguler la spéculation qui a mis la pression sur la livre égyptienne. La Bourse du Caire, fermée depuis le 30 janvier, ne doit rouvrir que le 13 février.