Pas de société civile, pas de partis politiques, pas d’institutions et encore moins d’élections: la Libye fonctionne selon un système unique voulu par Mouammar Kadhafi à son arrivée au pouvoir après le coup d’Etat contre le roi Idris 1er en 1969. Un système paradoxal qui se réclame de la "démocratie directe" - le peuple détient le pouvoir et il n’y pas de chef d’Etat, Mouammar Kadhafi ne se considérant que comme le "Guide de la révolution" - mais dans lequel les libertés sont quasi inexistantes.
Le pouvoir serait donc détenu par le peuple. Dans les faits, la société libyenne est aux mains du clan Kadhafi, surtout, et d'une dizaine de tribus qui jouent un rôle clanique et familial en l’absence d'institutions et dont l'alliance remonte au début du XXe siècle, époque où l’Italie avait colonisé le pays dès 1911.
Dès 1969, Mouammar Kadhafi a placé des chefs de tribu à des postes importants de l'administration, de l'économie et de l'armée, et il s'est maintenu au pouvoir grâce à ce partage de compétences et à l'allégeance des tribus. Peu à peu, des contentieux sont survenus au fil des ans. Voyant les Libyens descendre dans la rue depuis quelques jours, de nombreuses tribus ont rejoint le camp des contestataires, faisant de Mouammar Kadhafi un homme de plus en plus isolé. Mosaïque des principales tribus jouant un rôle essentiel dans les événements de ces derniers jours en Libye:
La tribu Kadhafa
C’est celle dont est issu le clan des Ghous auquel appartient Mouammar Kadhafi. Loin d’être la plus importante en nombre - environ 125'000 habitants - elle joue un rôle central à la tête du régime en disposant des postes-clé. Elle est l’une des dernières tribus fidèles à Kadhafi. La Kadhafa se concentre dans le centre du pays, autour de la ville de Sebha.
La tribu Warfala
C’est la plus grande des tribus libyennes avec environ un million de membres. Elle se situe essentiellement à Benghazi, deuxième ville du pays d’où est partie la révolte. Pas étonnant que la Warfala ait été la première à rejoindre les contestataires, ce d’autant plus qu'après que des officiers warfalites, mécontents de leur situation au sein de l’armée, eurent tenté un coup d’Etat militaire en 1993, nombre des membres de la tribu occupant des fonctions dirigeantes dans l’armée ont été emprisonnés ou tués.
La tribu Megarha
C’est de cette tribu qu'est issu celui qui a longtemps été considéré comme le numéro 2 du régime, le commandant Abdeslam Jelloud. La Megarha, proche de la Warfala, a également subi les représailles de Kadhafi après la tentative de coup d’Etat de 1993, avec la mise à l’écart d'Abdeslam Jelloud et de nombreux autres membres de la tribu. Jelloud, qui a souvent critiqué les méthodes de Mouammar Kadhafi, serait actuellement assigné à résidence, selon le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung.
La tribu des Touaregs
Cette importante tribu est l’une des plus vieilles du continent africain et sa présence s’étend sur cinq pays: l’Algérie, la Libye, le Niger, le Burkina Faso et le Mali. En Libye, elle est formée de 500'000 personnes. Elle a elle aussi rejoint les rangs des opposants au régime.
La tribu Al Zouaya
Malgré se petite taille, cette tribu jouit d'une influence certaine, car elle est implantée dans l'est du pays, région pétrolifère. Son dirigeant a d'ailleurs menacé lundi de couper les exportations de pétrole vers les pays occidentaux si les autorités ne mettaient pas fin à "l’oppression des manifestants".
Encore une tribu qui semble avoir lâché Mouammar Kadhafi...
Désormais, certains observateurs du monde arabe craignent qu'en cas de renversement du colonel Kadhafi, la rivalité entre les différentes tribus reprenne et que celles-ci s'engagent dans une lutte fratricide pour le pouvoir.
Patrick Suhner
La Libye, un portrait en quelques chiffres
Capitale: Tripoli.
Population: environ 6'200'000 habitants.
Superficie: 1'759'540 km2.
Type d'Etat: République dès 1969 après le coup d'Etat de Mouammar Kadhafi, qui proclame la "Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste" en 1977.
Régions: la Tripolitaine (nord-ouest, frontière avec la Tunisie), le Fezzan (sud-ouest) et la Cyrénaïque (est, frontière avec l'Egypte).
Langues principales: tunisois, égyptien, marocain, français.
Monnaie: Dinar libyen.