Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a estimé jeudi dans ce message audio diffusé par la télévision libyenne que les manifestants servaient les intérêts du chef d'Al-Qaïda Oussama Ben Laden, affirmant par ailleurs que son pouvoir n'était que "moral".
Au dixième jour d'une révolte sans précédent en Libye, le colonel s'adressait aux habitants de la ville de Zawiyah, située à 60 km à l'ouest de Tripoli, où, selon l'agence officielle Jana, des terroristes ont pris d'assaut un centre d'une force sécuritaire et ont égorgé trois soldats selon la "méthode de l'ancien chef terroriste d'Al-Qaïda en Irak, Abou Moussab Al-Zarkaoui".
Ben Laden fustigé
Son intervention, apparemment par téléphone et brièvement interrompue vingt minutes après le début à 14h15, s'est terminée peu après 14h30 GMT. "Ces gens n'ont pas de vraies revendications, leurs revendications sont celles de Ben Laden", a affirmé le colonel Kadhafi.
Il a présenté ses "condoléances aux familles de quatre personnes des forces de sécurité tuées" à Zawiyah. "Je me demande si Ben Laden va aider à indemniser les familles de ceux qui ont été tués", a-t-il ajouté.
Kadhafi se compare à la reine d'Angleterre
Le colonel Kadhafi a par ailleurs indiqué que son pouvoir était seulement moral. "Je n'ai pas le pouvoir de faire des lois ou de faire appliquer la loi. La reine d'Angleterre n'a pas cette autorité. C'est exactement mon cas", a-t-il dit.
"Mouammar Kadhafi n'a pas de poste officiel pour qu'il en démissionne. Mouammar Kadhafi est le chef de la révolution, synonyme de sacrifices jusqu'à la fin des jours", avait-il déjà affirmé mardi lors d'un discours télévisé adressé à la nation.
Il a en outre affirmé, comme il l'avait fait mardi, que les manifestants prenaient de la drogue distribuée par des "agents de l'étranger". Selon lui, les manifestants "ont 17 ans. On leur met des substances hallucinogènes dans leurs boissons, leur lait, leur café, leur Nescafé".
Mardi, dans son premier discours public depuis le début de l'insurrection sanglante en Libye le 15 février, le colonel libyen a juré de réprimer dans le sang les protestataires.
De plus en plus isolé
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi était de plus en plus isolé jeudi, confronté à une opposition maîtresse de l'Est et sommé par l'Occident de stopper le bain de sang, la communauté internationale disant craindre une catastrophe humanitaire due à l'exode.
Au dixième jour de cette révolte qui a fait des centaines de morts, les rues de Tripoli étaient quasi-désertes en matinée après une nuit troublée par des tirs nourris, notamment dans la banlieue est. Les opposants semblent contrôler la région allant de la frontière égyptienne jusqu'à la localité d'Ajdabiya plus à l'ouest, en passant par Tobrouk, Derna et Benghazi, épicentre de la contestation à 1000 km à l'est de Tripoli.
Combats dans l'ouest du pays
Les forces fidèles au numéro un Mouammar Kadhafi ont lancé une contre-offensive jeudi dans l'ouest de la Libye, où plusieurs villes, comme Misrata, échappent semble-t-il désormais au contrôle du régime. La communauté internationale craint elle une catastrophe humanitaire dans la foulée de l'exode des Libyens.
L'insurrection, qui contrôle les grands centres urbains de l'Est du pays, fait tache d'huile et s'étend désormais à une grande partie des zones habitées du littoral méditerranéen, de la petite ville de Zouara, à 120 km de la capitale Tripoli, jusqu'à Misrata, à 200 km à l'est de la capitale.
Deux grands terminaux pétroliers cruciaux pour les exportations libyennes, Ras Lanouf et Marsa el Brega, dans le golfe de Syrte, sont en outre tombés aux mains des insurgés, ont rapporté des habitants de Benghazi en contact avec des employés.
Les événements de Libye ont des conséquences de plus en plus marquées sur les cours du pétrole. La Maison Blanche a toutefois estimé que les Etats-Unis et le monde pouvaient faire face à une rupture d'approvisionnement en pétrole liée à la crise en Libye. Les prix de l'or noir se sont repliés à New York, le baril de référence cédant 82 cents à 97,28 dollars, sous pression en fin de séance.
Plusieurs généraux et colonels ont fait défection au régime de Kadhafi, pour être solidaires du peuple."On parle de marcher sur Tripoli. Notre objectif est Tripoli, si Tripoli n'arrive pas à se libérer par lui-même", a dit un officier.
A une cinquantaine de kilomètres de la capitale, des combats entre insurgés et éléments fidèles à Kadhafi avaient lieu dans la ville de Zaouiyah, où, selon le journal Kourina, rare média libyen fiable sur les événements en cours, une dizaine de personnes au moins ont été tuées et des dizaines blessées. Cette ville, qui abrite un terminal pétrolier, est la plus proche de la capitale où aient été signalés de violents combats.
Les forces fidèles à Kadhafi ont attaqué en outre jeudi les insurgés qui contrôlent Misrata, troisième ville de Libye. Selon des avocats et des juges, la cité est aux mains des insurgés et plusieurs personnes ont péri dans des combats aux alentours de l'aéroport. Non loin de la frontière tunisienne, à Zouara, ville de 45'000 habitants, des "comités populaires" équipés d'armes automatiques contrôlent les rues, où l'on ne voyait plus aucun soldat ou policier, selon des ouvriers égyptiens qui ont atteint la frontière tunisienne.
Sanctions internationales
A l'étranger, les protestations se multiplient. Le président américain Barack Obama a exigé jeudi soir "un arrêt immédiat de l'usage de la force" et souhaité l'expulsion de la Libye du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
De son côté, l'Union européenne a chargé ses experts d'examiner des interdictions de visa, des gels d'avoirs, et d'éventuelles poursuites contre des dirigeants libyens. La Suisse a pour sa part bloqué avec effet immédiat les éventuels avoirs du clan Kadhafi sur son territoire.
Réclamant une nouvelle réunion d'urgence du Conseil de sécurité, Paris a estimé que les violences perpétrées par le pouvoir "pourraient constituer des crimes contre l'humanité", un avis corroboré par l'ONG Human Rights Watch (HRW). En revanche, l'OTAN a annoncé jeudi qu'elle n'avait pas l'intention d'intervenir en Libye.
L'exode, une catastrophe humanitaire
La Commission européenne s'est dite préoccupée par le risque de catastrophe humanitaire et évalue les besoins en cas d'exode massif de la population. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 30'000 Tunisiens et Egyptiens ont fui la Libye depuis lundi.
L'UE cherchait par ailleurs un appui naval militaire pour évacuer ses quelque 6000 ressortissants du pays. L'ONU a affirmé que des milliers de Libyens se dirigeaient vers les frontières avec l'Egypte et la Tunisie pour tenter de fuir les violences.
De nombreux pays continuent à évacuer par air et par mer les dizaines de milliers de leurs ressortissants travaillant en Libye. A l'aéroport, la situation est d’ailleurs "chaotique", des passagers se battant pour monter dans les avions, selon le commandant d'un avion maltais.
Al-Qaïda soutient les insurgés
Le vice-ministre libyen aux Affaires étrangères a déclaré que les journalistes entrés illégalement en Libye étaient considérés "comme des collaborateurs d'Al-Qaïda", mais que le pays était ouvert à tous les journalistes. Il a affirmé qu'Al-Qaïda avait établi un émirat islamique à Derna dans l'est de la Libye, ce qu'ont démenti ses habitants.
Pour sa part, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a promis de "faire tout son possible pour aider" les insurgés estimant que leur combat est "le combat de tout musulman qui aime Allah et son messager", a indiqué jeudi le centre américain de surveillance de sites islamistes.
agences/vkiss/hof
LA CONTESTATION CONTINUE DANS LES AUTRES PAYS ARABES
YEMEN: Le président du Yémen Ali Abdallah Saleh multiplie les gestes d'apaisement face à une révolte qui ne se calme pas, pour éviter le même sort que ses pairs arabes chassés du pouvoir. Mais rien n'y fait: jeudi, de nouveaux contestataires, dont des dizaines de femmes, sont venus grossir les rangs des manifestants. Ces derniers campent depuis quatre jours devant l'Université de Sanaa, réclamant la chute du régime de Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans.
BAHREIN: Des manifestants restaient massés dans le centre de la capitale Manama exigeant toujours des réformes, malgré la libération d'opposants chiites graciés par le roi. Le roi Hamad ben Issa al-Khalifa s'est rendu en Arabie saoudite voisine pour s'entretenir avec le roi Abdallah rentré dans son pays après trois mois d'absence. Depuis le début de la contestation à Bahreïn le 14 février, sept manifestants ont été tués.
IRAK: Un policier a été tué et un autre blessé à Halabja, au Kurdistan (nord), lors d'une manifestation contre les deux partis traditionnels kurdes, portant à cinq le nombre de personnes tués depuis le début des d'affrontements qui ont fait trois morts et des dizaines de blessés depuis une semaine.
ALGERIE: L'opposition algérienne a étalé de nouvelles divergences face au pouvoir qui a poursuivi sa reconquête de l'opinion publique en annonçant une levée imminente de l'état d'urgence - saluée par Washington - ainsi que des mesures en faveur de l'économie, de l'emploi et du logement. La marche de l'opposition algérienne prévue samedi à Alger sera interdite, comme les deux précédentes, ont annoncé les ministres algériens de l'Intérieur et des Affaires étrangères.
MAROC: L'Union socialiste des forces populaires, un des principaux partis de la coalition gouvernementale marocaine, réclame qu'un "agenda pour des réformes politiques soit fixé", et "reconnaît l'importance" des manifestations de rue récentes, a déclaré jeudi l'un de ses dirigeants. Cette déclaration intervient peu après les manifestations du 20 février dans plusieurs villes du pays pour exiger des réformes politiques "urgentes", en réponse à des appels de jeunes Marocains sur Facebook.
EGYPTE: Des policiers qui réclamaient leur réintégration ont mis le feu à un bâtiment du ministère de l'Intérieur au Caire. L'armée, déployée dans la ville pour maintenir la sécurité durant la révolte contre le pouvoir, est intervenue, parvenant à éteindre l'incendie. Quelque 15’000 personnes fuyant la violence en Libye ont commencé à rentrer en Egypte par le poste frontalier l'Al-Saloum, sur la côté méditerranéenne. L'Egypte a reçu l'accord des autorités libyennes pour effectuer 37 vols afin de rapatrier ses ressortissants. Selon Le Caire, près d'1,5 million d'Egyptiens travaillent en Libye.
TUNISIE: Plus de 5700 Tunisiens et Libyens ont fui la Libye par la route pour se réfugier en Tunisie, a indiqué mercredi le Croissant rouge qui évoque un "risque catastrophique" d'exode massif.
Mercenaires africains, Lockerbie: l'ancien ministre de la Justice se confie
"Les jours de Kadhafi sont comptés. Il va faire comme Hitler: il va se suicider", déclare, dans une interview au journal suédois Expressen publiée jeudi, l'ex-ministre libyen de la justice Moustapha Abdel Jalil, qui a quitté son poste pour protester contre les violences du régime contre les manifestants.
Le ministre a en outre affirmé avoir la preuve que Kadhafi a donné l'ordre l'attentat contre un Boeing 747 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie en Ecosse, qui avait fait 270 morts le 21 décembre 1988. "Kadhafi a donné l'ordre aux officiers des services de renseignements et à Megrahi de commettre l'attentat de Lockerbie, j'en suis certain à 100%."
L'ex-ministre appelle également les diplomates libyens à soutenir la révolte et s'indigne de l'emploi de mercenaires africains par le régime de Tripoli. "Je savais que le régime avait des mercenaires bien avant le soulèvement. Lors de plusieurs réunions, le gouvernement a décidé de donner la citoyenneté à des gens du Tchad et du Niger. J'ai protesté et c'est documenté."
"Il n'est pas encore l'heure de tout révéler maintenant, mais cela viendra", promet-il. "J'ai vu le diable en Kadhafi. Maintenant, il est l'heure pour tous les diplomates de prendre leurs distances avec ce régime meurtrier. Je leur demande de rester à leurs postes, mais de s'avancer pour dire qu'ils sont du côté du peuple".
Le pétrole atteint des records
La Libye détenant les plus importantes réserves de pétrole en Afrique, l'or noir poursuivait son envolée sur les marchés, atteignant des prix record depuis plus de deux ans. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en avril a même frôlé les 120 dollars avant de se replier.
La production d'ENI, premier producteur étranger en Libye, a été réduite de plus de 50% à 120.000 barils par jour après l'arrêt de certaines activités en raison des violences, a indiqué son directeur général. D'autres groupes pétroliers ont cessé toutes leurs activités dans le pays comme l'Espagnol Repsol ou une partie comme le Français Total.