D'abord protégé par l'immunité liée à ses fonctions, puis redevenu à la fin de son mandat un citoyen ordinaire, Jacques Chirac échappe de nouveau à la justice, après l'annonce du report à juin de son procès, le premier dans l'Histoire d'un ancien président français.
Un point pour la défense
Siégeant depuis la veille pour juger l'ex-chef de l'Etat avec neuf co-inculpés, le tribunal correctionnel de Paris a accepté le recours constitutionnel d'un avocat de la défense, et évoqué les "alentours du 20 juin" pour une reprise des débats.
Le président du tribunal Dominique Pauthe a estimé que la question posée par Jean-Yves Le Borgne, avocat d'un ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac, avait un caractère "sérieux". Il a donc décidé de saisir la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire française, qui pourra à son tour se tourner vers le Conseil constitutionnel. A noter au passage que Jacques Chirac est membre du Conseil constitutionnel.
L'avocat estimait anormal de juger les faits si longtemps après qu'ils aient été commis, considérait qu'ils auraient dû être prescrits, et il a donc demandé au tribunal de faire vérifier que tout cela était bien conforme à la Constitution.
Poursuivi pour une affaire d'emplois fictifs remontant aux années 1990, lorsqu'il était maire de Paris, Jacques Chirac, 78 ans, n'avait pas assisté lundi à l'ouverture du procès, lorsque ces points de droit avaient été discutés. Il s'est également soustrait à la deuxième journée du procès mardi, et n'envisageait de se présenter devant le tribunal que mercredi, si le procès avait été maintenu.
Jacques Chirac "prend acte"
Le recours constitutionnel était soutenu par le parquet, qui dépend en France du ministère de la Justice, et qui a toujours été opposé à un procès de l'ex-président.
Jacques Chirac"prend acte du report du procès" et a assuré qu'il serait "présent" à la reprise du procès. Ses avocats ont affirmé de leur côté qu'ils n'étaient pas à l'origine du recours qui a entraîné le report de la procédure.
L'ancien président était redevenu un justiciable ordinaire en quittant l'Elysée en 2007. Il est soupçonné d'avoir permis que des personnes travaillant essentiellement pour son parti, le RPR (ancêtre de l'UMP, le parti de l'actuel président Nicolas Sarkozy), soient rémunérées par la mairie de Paris. Maire de Paris de 1977 à 1995 avant d'être élu président (1995-2007), il n'a cessé de récuser l'existence d'un "système organisé".
Des doutes sur l'organisation du procès étaient soulevés depuis quelques semaines en raison de la santé déclinante de l'ancien président, la silhouette désormais voûtée et le pas hésitant. Son épouse Bernadette a même dû démentir fin janvier qu'il souffrait de la maladie d'Alzheimer.
Deux volets à l'affaire
Le procès comprend deux volets : l'un a été instruit à Nanterre (près de Paris) portant sur sept emplois présumés de complaisance et pour lequel Jacques Chirac est accusé de "prise illégale d'intérêt"; l'autre a été instruit à Paris portant sur 21 emplois, pour lequel l'ex-président est poursuivi pour "détournement de fonds publics" et "abus de confiance".
Dans le volet de Nanterre, plusieurs condamnations avaient déjà été prononcées en 2004, notamment à l'encontre de l'ancien Premier ministre (et actuel chef de la diplomatie) Alain Juppé, à l'époque secrétaire général du RPR et adjoint aux Finances à la mairie de Paris.
L'ancien président encourt en théorie 10 ans de prison et 150'000 euros d'amende, ainsi que cinq ans de radiation des listes électorales et 10 ans d'inéligibilité.
agences/cer
Quelques réactions
- Me Georges Kiejman, l'un des avocats de Jacques Chirac: "La défense de Jacques Chirac n'a jamais voulu remettre ce procès aux calendes grecques". "Jacques Chirac s'est préparé à ce procès. Il se préparait à venir aujourd'hui et compte tenu du décalage ordonné hier, il se préparait à venir demain. Donc je peux vous assurer que dans une certaine mesure, Jacques Chirac sera déçu de ne pas pouvoir s'expliquer demain".
- Me Jérôme Karsenti, avocat de l'association Anticor, partie civile: "L'enlisement fonctionne", a-t-il dit en faisant part de sa "déception". "Nous, Anticor, nous disons que les puissants ne doivent pas échapper à leurs responsabilités". L'avocat se déclare "tristement lucide sur le temps qui passe et les atermoiements de la justice". Avec Jacques Chirac, "on a un homme qui vieillit, on a un homme qui finalement fait jouer le temps qui passe".
- Transparence International (TI) France, dans un communiqué: "TI France déplore une très mauvaise nouvelle qui va à l'encontre des déclarations récentes de nombreux responsables de partis politiques sur l'urgence d'une moralisation de la vie publique".