Après des semaines d'hésitations, un mandat de l'ONU et un appui arabe, une réunion extraordinaire à Paris entre l'Europe, les Etats-Unis, l'ONU et des pays arabes a abouti à cette intervention militaire souhaitée par l'opposition libyenne après les vains appels au départ de Mouammar Kadhafi.
Le président français Nicolas Sarkozy a annoncé à l'issue de cette rencontre que des avions français survolaient samedi la Libye pour empêcher des "attaques aériennes" des forces de Mouammar Kadhafi sur Benghazi, fief de la rébellion situé dans l'est du pays. Peu après, les avions français ont procédé à quatre frappes aériennes, détruisant plusieurs blindés des forces pro-Kadhafi, a-t-on appris de source militaire française.
La première frappe aérienne française a visé samedi à 17h45 un véhicule militaire des forces du régime dans un lieu indéterminé, le premier tir après le feu vert jeudi de l'ONU au recours à la force pour protéger la population civile dans le pays. Au total, une vingtaine d'avions français Rafale et Mirage ont participé aux opérations.
Missiles américains et britanniques
En soirée, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont commencé à tirer une première vague d'environ 110 missiles de croisière Tomahawk sur des sites antiaériens afin de faciliter l'application de la zone d'exclusion aérienne. Ces frappes devaient se dérouler essentiellement aux abords de Tripoli et de Misrata, à 200 km plus à l'est, selon un responsable américain. A Londres, le Premier ministre David Cameron a confirmé que les forces britanniques étaient également entrées en action.
Barack Obama a annoncé avoir autorisé une "action militaire limitée" des forces américaines. Il a insisté sur le fait que les Etats-Unis ne déploieraient pas de troupes au sol en Libye. "Comme je l'ai dit hier (vendredi), nous ne déploierons pas, je répète, nous ne déploierons pas de troupes américaines au sol" en Libye, a déclaré le président américain. La Russie, qui s'était abstenue lors du vote de jeudi à l'ONU, a de son côté regretté l'intervention armée. Le comité de l'Union africaine sur la Libye, attendu dimanche à Tripoli, a lui aussi rejeté "toute intervention militaire".
Kadhafi menace
En soirée, Mouammar Kadhafi a qualifié l'opération militaire d'"agression croisée injustifiée" et a menacé d'attaquer des objectifs "civils et militaires" en Méditerranée, décrite comme "un vrai champ de bataille". Au pouvoir depuis plus de 40 ans, Mouammar Kadhafi, qui a juré d'écraser la révolte, avait auparavant prévenu Paris, Londres et l'ONU qu'ils "regretteraient" toute ingérence dans son pays.
Les médias officiels libyens ont annoncé que des "objectifs civils" avaient été touchés et qu'il y avait des "blessés". Des bombardements "ennemis" ont aussi touché des réservoirs de carburant alimentant Misrata et sa région, a annoncé un porte-parole des forces armées libyennes cité par la télévision d'Etat.
La ville natale du dirigeant libyen, Syrte, a été la cible de missiles et de raids aériens menés par la coalition internationale, a aussi rapporté l'agence officielle libyenne Jana. Mais le média a également affirmé qu'un avion français avait été abattu par la défense anti-aérienne libyenne dans la région de Tripoli. Une information aussitôt démentie par l'état-major de l'armée française.
La résolution de l'ONU impose une zone d'exclusion aérienne en Libye et permet des frappes aériennes contre les troupes pro-Kadhafi pour les contraindre à cesser la répression qui a fait des centaines de morts et poussé 300'000 personnes à fuir le pays depuis le début de la révolte le 15 février. Elle exige l'arrêt complet des attaques contre des civils.
Bengahzi et Zenten bombardés
Mais sur le terrain, des combats ont eu lieu depuis l'aube à l'entrée de Benghazi. Selon des rebelles, l'artillerie et les chars ont tiré contre les quartiers ouest, et certains des obus ont touché le centre de la ville. Un avion militaire des rebelles a été abattu par les pro-Kadhafi. Redoutant le pire, des milliers de personnes ont fui par familles entières. Voitures, minibus, camions ont pris la direction du nord-est, et de longues files d'attente se sont formées devant les stations service et les boulangeries.
Dans l'ouest, les loyalistes avançaient avec des chars vers Zenten, à 145 km au sud-ouest de Tripoli, pilonnant les abords de cette ville rebelle et poussant ses habitants à la fuite, selon un témoin. Les rebelles ont aussi annoncé avoir repoussé, au prix de 27 morts dans leurs rangs, une offensive des forces gouvernementales vendredi à Misrata, à 200 km à l'est de Tripoli. Samedi, la ville était calme.
A Tripoli, des centaines de Libyens se sont rassemblés au quartier général de Mouammar Kadhafi "en prévision de frappes françaises", selon la télévision d'Etat, et les autorités ont emmené une cinquantaine de journalistes étrangers, dont celui de l'AFP, y faire un tour. Et dans une tentative de trouver "une solution africaine", des membres du comité de l'Union africaine (UA) sur la Libye ont annoncé qu'ils se rendraient dimanche à Tripoli.
agences/cab
Quelle participation de l'OTAN?
Plusieurs questions restaient floues à l'issue du sommet de Paris sur la Libye, notamment celle du rôle de l'OTAN.
La France refuse catégoriquement que l'Alliance atlantique intervienne dans les raids immédiats et urgents qui suivraient la tenue du sommet.
Le sommet réunissait aussi les ministres des Affaires étrangères du Qatar, des Emirats arabes unis, du Maroc et de la Jordanie, selon la liste des participants.
Le chef de la diplomatie irakienne, Hoshyar Zebari, était également présent, en sa qualité de président en exercice de la Ligue arabe, ainsi que le secrétaire général de la Ligue, Amr Moussa.
Côté européen, outre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, les chefs de gouvernement d'Italie, d'Espagne, du Portugal, de Pologne, du Danemark, des Pays-Bas, de Belgique, de Grèce et de Norvège figuraient parmi les participants.
Davantage de réfugiés
Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) a constaté samedi "une légère hausse" du nombre de Libyens fuyant vers l'Egypte en raison des combats.
"Aujourd'hui, 1000 Libyens ont passé la frontière avec l'Egypte. C'est en légère hausse par rapport à hier, où 824 personnes l'ont traversée", a déclaré le représentant de l'agence des Nations unies au Caire.
"Au total, 2000 personnes ont fui, si l'on inclut les Egyptiens et d'autres nationalités. Ils viennent de Benghazi et d'Ajdabiya", deux villes rebelles de l'Est de la Libye attaquées par les troupes de Kadhafi, a-t-il ajouté.
L'ONU, l'Egypte et les ONG craignent un exode de dizaines de milliers de personnes de l'Est libyen vers la frontière égyptienne à mesure que les combats s'intensifient autour des villes et des zones contrôlées par l'opposition, qui tente depuis plus d'un mois de chasser Mouammar Kadhafi.