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L'affaire DSK dans les médias américains

Dominique Strauss-Kahn dans les médias américains
Dominique Strauss-Kahn dans les médias américains
Les démêlés judiciaires de Dominique Strauss-Kahn ne laissent pas de marbre la presse américaine qui, 4 jours après l'interpellation du directeur du FMI, continue d'en donner un large écho. Hollywood n'aurait pas trouvé meilleur scénario, avec en toile de fond des échanges de politesses entre presse US et française.

L'affaire DSK est bien loin d'être reléguée dans les colonnes de brèves dans la presse américaine. Elle prend même davantage d'ampleur que les révélations concernant l'ex-gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger, qui se sépare de son épouse après la révélation de l'existence d'un enfant illégitime.

"Puissant et primitif", commente la journaliste Maureen Dowd, dans les colonnes d'opinion du New York Times.  Notre consoeur fait également référence à la nouvelle ligne adoptée par la défense du socialiste français, qui soutient que le rapport avec la femme de ménage était consenti.

"Elle le voulait! C'est ce que chaque jeune veuve travailleuse, craignant Dieu, effectuant des basses besognes dans un hôtel, devant justifier son statut d'immigrée et s'occuper de son adolescente voudrait: un vieux satyre fou et ridé la chargeant nu au sortir d'une salle de bain, pour la traîner sur le sol à la façon d'un homme des cavernes".

Maureen Dowd ajoute que "la réputation de Dominique Strauss-Kahn comme séducteur français marié trois fois perd quelque chose dans la traduction, car si les allégations sont vraies, le comportement de DSK, grossier et primitif, est un viol."

"Dirty Old Men"

nytimes.com
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Toujours à propos de "traduction", ou plutôt du fossé d'interprétation de part et d'autre de l'Atlantique, un article du New York Times évoque le sentiment d'impunité régnant chez les hommes de pouvoir en France ("Droit du Dirty old Men"). L'écrivain Stephen Clarke y rappelle que, depuis la révélation de l'affaire DSK, les politiciens français ont exprimé avec véhémence le manque de doigté de la justice américaine. Mais c'est derniers ne le font "pas seulement par estime pour un confrère célèbre", mais aussi par soulagement de ne pas vivre sous ce système.

Car si la France a eu sa Révolution, elle n'a au final obtenu qu'un nouvelle élite encore plus puissante. C'est pour cela que l'establishment français voit en Strauss-Kahn une victime, plutôt que la femme de chambre. Or la même affaire n'aurait jamais éclaté à Paris. On aurait en effet discrètement demandé à la plaignante si le risque de perdre son emploi et son permis de séjour valait la peine d'une plainte.

L'écrivain dresse encore un parallèle avec l'affaire Polanski. Ce dernier, on le rappelle, a fui les Etats-Unis pour la France en 1978 afin de se soustraire à sa condamnation pour relations sexuelles illégales avec une jeune fille de 13 ans. Or quand il a été arrêté en Suisse en 2009, à la demande des autorités américaines, l'ensemble de l'establishment culturel français s'est levé pour le défendre...

Culture de complaisance

Les réactions françaises à l'interpellation de DSK ont été mal accueillies aux Etats-Unis. "Questions Raised About a Code of Silence" ("Les questions soulevées à propos de la loi"), entonne encore le NY Times à propos du dogme sacro-saint vie privée/vie publique qui a prévalu jusqu'ici en France et fut incarné par Mazarine, la fille "cachée" de François Mitterrand, dont l'existence était connue par de nombreux journalistes qui n'ont pipé mot.

"L'arrestation de Strauss-Kahn n'est cependant pas tout à fait étonnante pour ceux qui ont observé de près son comportement envers les femmes au fil des ans", explique Judith Warner dans le magazine Time. Son article porte d'ailleurs un nom évocateur: "Le mythe de la séduction: ce que les Français ne comprennent toujours pas sur le sexe."

"Ce type de comportement a eu lieu - et a peut-être été encouragé - dans une culture de complaisance, voire même une attitude complice envers des actes sexuels abusifs d'hommes puissants, qui sont banalisés dans des clichés fourre-tout de la séduction gauloise", condamne Judith Warner. "Le cataclysme de l'arrestation de Strauss-Kahn a apporté le début d'une conversation nécessaire sur la vertu de maintenir ce code du silence en France, estime encore la rédactrice."

Qu'on le veuille ou non, DSK et ses partisans doivent désormais jouer selon les règles américaines, conclut l'article du Time. "Et ces dernières ne proviennent pas de pudeur ou puritanisme. Elles sont fondées sur le respect, sur la compréhension des relations de pouvoir hommes-femmes et sur un désir de changer les petits systèmes de complicité qui ont circulé jusqu'ici".

L'éthique passée en revue

latimes.com
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"L'arrestation du patron du FMI suscite une vague d'antiaméricanisme en France", s'inquiète le Los Angeles Times qui évoque, encore une fois, un fossé culturel pour expliquer cette réaction, plutôt que la simple haine.

"Le premier jour, le scandale impliquant DSK a provoqué un choc et la stupéfaction. Le deuxième jour, la honte et la pitié de soi. Le troisième jour, la France était à la recherche de quelqu'un à blâmer pour la perte probable du leader du Parti socialiste que beaucoup pensaient futur président". La mise en scène par la police du trajet de DSK devant les photographes, vécue comme entorse à la présomption d'innocence, et le fait qu'il soit jeté en prison n'ont en rien arrangé les choses. Le philosophe français Bernard-Henri Lévy s'est d'ailleurs dit scandalisé par la "grotesque" lynchage médiatique de son ami.

"En matière sexuelle, les Français se considèrent comme l'esprit ouvert et libéral. Il s'ensuit donc que des peccadilles sexuelles d'un homme politique français, comme des affaires extra-conjugales, ne sont l'affaire de personne d'autre que lui", relate encore le LA Times qui estime que ces lois de confidentialité - en tant que feuille de vigne - ont permis la création d'une omerta autour de politiciens et de célébrités".

Loi du silence ou laxisme, les reproches adressés par la presse US à son homologue française n'ont d'ailleurs pas laissé insensible de ce côté de l'Atlantique. Libération a réagi mercredi à cette violente remise en cause et assure vouloir continuer à respecter la vie privée des hommes et femmes politiques. "Un principe démocratique hypocrite aux yeux de certains, mais fondamental. Imparfait mais nécessaire. Car mettre ce principe au rencart conduirait à favoriser, à très court terme, la victoire du "buzz" et du "trash" au nom de l'information de qualité", explique l'éditorialiste Nicolas Demorand.

Réhabilitation impossible?

Le Washington Post a pour sa part ouvert une tribune spéciale "On Leadership", ouverte aux politiciens, scientifiques et entrepreneurs en leur soumettant la question suivante: "Est-ce que Dominique Strauss-Kahn peut retrouver sa crédibilité étant donné la nature des faits qui lui sont reprochés?" Mais le socialiste ne semble pas peser assez lourd pour surmonter le tourbillon actuel en vue des présidentielles françaises de 2012, selon les personnes interrogées.

L'auteur Marshall Goldsmith pense en effet que Dominique Strauss-Kahn peut "récupérer" suffisamment de crédibilité pour rester au sein du FMI (en fonction des conclusions de l'enquête), mais ne croit pas qu'il "ne devrait jamais être un chef élu en France".

Autre avis, sans ambiguïté: celui de Slade Gordon, ex-sénateur et procureur général de l'Etat de Washington. "La réhabilitation est quasi impossible pour DSK".

Les célébrités du Rikers

The Daily Beast et la TV Sky News ont pour leur part choisi de rappeler, par exemple par le biais de galeries, quelles sont les célébrités à avoir déjà été incarcérées dans la non moins célèbre prison de Rikers Island. Mark Chapman (meurtrier de John Lennon) et Sid Vicious (après le décès de sa compagne Nancy Spungeon) figurent parmi les plus connus. L'un des ex-pensionnaires, le producteur TV Joe Halderman - qui a passé 4 mois dans l'établissement pour avoir fait chanter la vedette du petit écran David Letterman - a été approché pour raconter son calvaire dans l'établissement.

"La vie de DSK en prison sera très différente de sa suite Sofitel à 3000 dollars la nuit. No croissants, no café au lait", en français dans le texte, Joe Halderman ne laisse pas planer le doute dans les colonnes du Daily Beast: aucun traitement de faveur n'est accordé aux pensionnaires VIP de "The Rock". Il s'agit donc bel et bien d'une prison. "Je parie que la nuit passée a été la pire nuit de la vie de DSK", a encore déclaré Joe Halderman.

Réactions d'internautes américains

cnn.com
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La télévision CNN se montre également très intéressée par cette affaire et va jusqu'à publier le texte de la plainte. Et si l'on se penche sur les forums de la chaîne, on peut apercevoir aussi quelques allusions aux théories du complot, qui tiennent la corde en France.

"Une jeune fille de langue française, dans un hôtel appartenant à l'une des plus grandes entreprises françaises, pour cibler un Français étant connu pour aimer trop les femmes, dans un pays connu pour être très difficile en ce qui concerne les affaires du sexe. Un jeu facile pour les services de renseignement français?" écrit par exemple l'un des participants au forum de CNN.

Certains internautes se montrent également inquiets des répercussions de cette affaire sur l'image du pays à l'étranger. L'un d'eux poste par exemple sur Sky News: "Si DSK est innocent, quel dommage causera cette affaire aux Etats-Unis?", tandis qu'un autre commentaire évoque une "punition avant qu'il soit reconnu coupable".

Dans l'autre sens, des lecteurs défendent becs et ongles le modus operandi en vigueur dans le pays. "Si la loi est différente en France sur ce genre de chose, il aurait dû faire son "business" à la maison, pas ici. Si nous sommes trop puritains à son goût, désolé!" peut-on lire sur un forum de la TV abc News.

Le Post déterre

Le New York Post, très actif à propos de cette affaire, cherche à poursuivre sur sa lancée et dénicher l'information exclusive. Le quotidien publie par exemple mercredi que DSK a peut-être plus de soucis à se faire pour sa santé qu'à propos d'un éventuelle peine de prison. La femme de ménage vit en effet dans des appartements réservés aux personnes atteintes du HIV ou du virus du Sida. Attention, le Post n'est pas en mesure de certifier que la plaignante est effectivement porteuse du virus.

Enfin la télévision CNBC s'amuse de la question de l'immunité diplomatique dans cette affaire. "Si quelqu'un vous dit que la loi de l'immunité diplomatique est claire, il est probablement confus, menteur, ou Français." Différentes versions ont en effet circulé jusqu'ici, mais la réponse semble secondaire, car DSK est bel et bien sous les verrous.

Jérôme Zimmermann

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