Vol Rio-Paris: les questions restent ouvertes
Le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) a décidé de rendre publics vendredi les données et les enregistrements de conversations des pilotes du vol Rio-Paris extraits des "boîtes noires" repêchées début mai (lire le déroulement du drame minute par minute ci-dessous). La publication du rapport d'étape qui doit expliquer les causes de la catastrophe - qui a fait 228 morts, dont trois Suisses est toujours prévue d'ici fin juillet.
Après le désengagement du pilotage automatique pour des raisons non précisées, l'Airbus A330 est monté jusqu'à 38'000 pieds, puis l'alarme de décrochage s'est déclenchée et l'avion a effectivement décroché.
Les moteurs fonctionnaient
"Les ordres du pilote en fonction ont été majoritairement de cabrer" l'appareil, souligne le BEA, précisant que la descente a duré trois minutes 30, pendant lesquelles l'avion est resté en situation de décrochage. "Les moteurs ont fonctionné et toujours répondu aux commandes de l'équipage". Le pilote en fonction qui est resté aux commandes de bout en bout est le plus jeune des trois. Le commandant de bord avait au décollage la fonction de copilote.
Au moment de l'événement, le commandant de bord venait de partir en repos tandis que les deux copilotes se trouvaient dans le cockpit, mais il est revenu dans le poste de pilotage "environ 1 mn 30 après le désengagement du pilote automatique", soit à 2 h 11 minutes et 40 secondes GMT, précise le BEA.
"Plus aucune indication"
Au moment où le commandant de bord revient dans le cockpit, l'avion a déjà décroché, a-t-on expliqué au BEA. L'avion a perdu 3000 pieds et l'avion subit des oscillations qui atteignent parfois 40 degrés. "Je n'ai plus aucune indication", dit le pilote en fonction, à 2 h 12 minutes 02 secondes GMT.
L'hypothèse d'un problème de sondes de mesure de vitesse du type Pitot a été avancée comme une cause possible du drame. Les Pitot ont été remplacées par d'autres sondes sur toute la flotte Air France après l'accident. Les sondes Pitot de l'épave pourraient être remontées plus tard. Ces petits tubes placés à l'avant de l'appareil givraient à haute altitude, ce qui aurait pu perturber le pilotage.
Equipages pas préparés
Avant l'analyse des boîtes noires, le rapport d'expertise judiciaire soulignait que neuf incidents similaires étaient survenus sur vols Air France dans les mois précédant l'accident et que les équipages n'étaient pas "préparés à les affronter" faute "d'information et d'entraînement".
Le résultat des deux enquêtes, celle conduite par deux juges d'instruction et celle du BEA, revêt de forts enjeux judiciaires et industriels. Airbus et Air France ont été mis en examen en mars pour homicides involontaires.
afp/nr
LES DERNIERES MINUTES AVANT LA CATASTROPHE
22h29: décollage de Rio. Un commandant de bord et deux copilotes sont dans le cockpit.
01h55: le commandant de bord réveille le second copilote et annonce: "Il va prendre ma place".
01h59 à 02h01: briefing entre le commandant et les deux copilotes. Un copilote dit: "Le petit peu de turbulence que tu viens de voir (...) on devrait trouver le même devant (...) on est dans la couche malheureusement on ne peut pas trop monter pour l'instant parce que la température diminue moins vite que prévu". Le commandant de bord quitte le poste de pilotage.
02h08: le premier copilote propose: "Tu peux éventuellement prendre un peu à gauche". L'avion entame un léger virage à gauche. L'avion réduit sa vitesse.
02h10 et 5 secondes: le pilote automatique et l'auto-poussée se désengagent. Le second copilote annonce: "J'ai les commandes". L'avion part en roulis à droite et un copilote exerce une "action" à gauche et cabre l'avion.
02h10 et 16 secondes: "On a perdu les vitesses alors", dit le premier copilote. Une alarme de décrochage se déclenche. L'avion prend une trajectoire ascendante. Le second copilote tente de faire piquer l'avion et manoeuvre alternativement de droite à gauche.
02h10 et 50 secondes: le premier copilote tente plusieurs fois de rappeler le commandant de bord.
02h10 et 51 secondes: l'alarme de décrochage se déclenche. L'altitude de l'avion atteint son maximum à 38'000 pieds mais le pilote tente de cabrer l'avion.
02h11 et 40 secondes: le commandant de bord rentre dans le poste de pilotage. Dans les secondes qui suivent, toutes les vitesses enregistrées deviennent invalides, donc ne sont pas prises en compte par les ordinateurs, et l'alarme de décrochage s'arrête. L'altitude est alors d'environ 35'000 pieds, mais la vitesse de descente est d'environ 10'000 pieds par minute.
02h12 et 02 secondes: le copilote dit: "Je n'ai plus aucune indication". Le commandant: "On n'a aucune indication qui soit valable". Une quinzaine de secondes plus tard, le copilote tente de faire piquer l'avion. Les vitesses redeviennent valides et l'alarme de décrochage se réactive.
02h13 et 32 secondes: Le copilote dit: "On va arriver au niveau cent". Quinze secondes plus tard, des actions simultanées des deux pilotes sur les mini-manches sont enregistrées. Le copilote dit: "Vas-y, tu as les commandes".
02h14 et 28 secondes: fin des enregistrements.
Combinaison de plusieurs facteurs
"Ce que nous publions aujourd'hui, ce ne sont que des constatations et ce n'est pas la compréhension de l'événement", a déclaré Jean-Paul Troadec, le directeur général du Le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA), évoquant comme au début de l'enquête une combinaison de facteurs techniques et humains.
"Pour comprendre comment tout cela s'est enchaîné, c'est un travail qui commence". Airbus a indiqué dans le communiqué que les informations publiées par le BEA "constituent un pas important en vue de l'identification de la totalité de la chaîne d'événements qui a conduit à l'accident tragique du vol Air France 447".
Pour John Clemes, vice-président de l'Association des victimes Entraide et Solidarité, le BEA confirme que "les pilotes sont restés très calmes, très concentrés" mais ne dit pas pourquoi "ils ont agi de cette manière et de quelles informations ils disposaient." "Il est trop tôt" pour dire que c'est une erreur de pilotage mais il y a des "manoeuvres qui n'ont pas fonctionné", dit-il.