Lors d'une émission sur la chaîne Canal+ consacrée aux scandales sexuels touchant l'ex-patron du Fonds monétaire international (FMI) Dominique Strauss-Kahn (voir le dossier) et l'ancien secrétaire d'Etat Georges Tron, ainsi qu'à la responsabilité des médias, l'ancien ministre de l'Education (2002-2004) Luc Ferry a cité un article du Figaro Magazine et lancé un nouveau pavé dans la mare.
Les propos de Luc Ferry sur Canal+
Si Luc Ferry n'a pas souhaité divulguer le nom du politicien incriminé, la personnalité visée par ses propos semble être Jack Lang, selon plusieurs médias. Il faut dire que le chroniqueur politique Alain Duhamel, présent sur le plateau du Grand journal de Canal+, a demandé au philosophe si sa source était "peut-être mauvaise langue", phrase interprétée par plusieurs comme un jeu de mot d'initié.
Jack Lang réfléchit à porter plainte
"Luc Ferry relance un vieux ragot", titre le site internet de L'Express. Contacté par la rédaction, l'ex-ministre explique avoir voulu "défendre la liberté de presse qui respectait la vie privée et qui ne se rendait pas coupable de diffamation. Je n'ai aucune preuve, ni aucun fait précis sur cette affaire, mais à l'époque où j'étais ministre, j'en ai entendu parler."
Mais rien n'est venu étayer cette histoire... cette "vieille rumeur pourchassant Jack Lang", poursuit L'Express. "Certains journalistes ont pourtant cherché, selon le quotidien qui explique que, dans un livre en 2004, deux journalistes ont enquêté sur cette rumeur marocaine. Et ont démontré qu'elle ne reposait sur rien et qu' "il n'y avait pas le début du commencement d'une preuve qui soit solide". L'Express avait par ailleurs également consacré un article en 2005 sur la calomnie dont est victime Jack Lang, et dont l'apogée est atteinte avant les échéances présidentielles en 1995 et 2002.
Jack Lang, contacté par L'Express, a déclaré qu'il "allait étudier avec son avocat la possibilité de porter plainte en cas de diffamation". Dans l'intervalle, d'autres personnes prennent sa défense: quatre anciens ministres en poste après mai 2002 affirment n'avoir aucun souvenir de cette information. Une ancienne directrice de cabinet ajoute que même si elle n'a jamais entendu parler de cette rumeur, "la droite s'est toujours délectée des ragots entourant la personnalité de Jack Lang".
"Une rumeur qui ressurgit fréquemment"
Le blog de Guy Birenbaum se penche aussi longuement sur cette nouvelle affaire et tente de remonter le fil des accusations de pédophilie à l'encontre de Jack Lang. "L’accusation n’est pas neuve: elle ressurgit fréquemment", explique le blog qui reprend un premier épisode datant de 1996. "Une note policière met en scène, avec d’incroyables détails sordides et scabreux, le couple Lang, dans une vraie affaire de pédophilie survenue en 1988 dans le sud-est de la France."
"Yves Bertrand, sulfureux patron des renseignements généraux (RG), va alors alerter le procureur Éric de Montgolfier. Ce dernier, prêt à enquêter, lui ayant demandé de lui faire parvenir officiellement la “note blanche”, Bertrand avait fini par se rétracter, au motif que ses supérieurs hiérarchiques lui en auraient intimé l’ordre", explique Guy Birenbaum.
Le site @rrêt sur images titre encore: "Entretenir une rumeur tout en faisant mine de se féliciter de l'existence de la loi interdisant de la relayer, c'est tout un art." On ressent donc une prudence extrême des médias qui tranche fortement avec le traitement américain de l'affaire DSK (lire: Affaire Strauss-Kahn).
"Un scandale à tiroirs"
Certains médias tentent toutefois de se projeter un cran plus loin. Cette nouvelle affaire est "un scandale à tiroirs", commente par exemple le site Rue 89. "On ne voit pas pourquoi Luc Ferry mentirait, sauf à penser qu'il ait perdu la raison: il ne donne pas le nom du ministre en question, et ne cherche donc pas à lui nuire. Ce qu'il déclare ce soir-là sur Canal+ est pourtant vertigineux."
Le site internet explique en effet que l'acte répréhensible présumé est d'une part punissable de sept ans de prison. Mais l'affaire aurait été étouffée, avec la complicité du Maroc, tandis qu'un Premier ministre français et le directeur de cabinet du ministre visé étaient au courant. Enfin Luc Ferry - et d'autres? - mis au courant, n'ont pas saisi la justice.
A ce propos, Rue 89 relaie aussi qu'une association marocaine de la protection de l'enfance, "Touche pas à mon enfant", a l'intention de saisir la justice. "Un responsable politique qui abuse de nos enfants, c'est inacceptable. Nous allons porter plainte contre X. Une enquête doit être ouverte pour faire la lumière sur cette affaire", indique la présidente de cette association, Najat Anwar.
"Un délateur embrouillé"
"Philosophe plutôt simpliste, Luc Ferry vient cette fois de se distinguer par sa métaphysique stupidité", commente Le nouvel Observateur qui se demande aussi pourquoi rien n'a été dénoncé à l'époque, si les faits sont avérés?
"Pourquoi n’apporte-t-il pas, à l’appui de ses affirmations, d’autres éléments que le sempiternel "tout le monde le savait", formule floue, incriminante pour tous ceux qui sont censés savoir, mais dont on ne sait pas qui ils sont ni ce qu’ils sont censés savoir", précise l'éditorialiste Laurent Joffrin, qui qualifie l'ex-ministre de l'Education nationale de "délateur embrouillé".
Le site internet de TF1 revient quant à lui sur la volée de bois vert qu'essuie Luc Ferry au lendemain de ses propos. "Luc Ferry sommé d'étayer ses accusations contre un ex-ministre", titre aussi Le Monde. "Quand il y a des faits avérés, c'est une faute de ne pas les révéler", a encore déclaré sur la radio France Culture le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé. "Le droit d'informer, ce n'est pas le droit de calomnier. Si on a la conviction qu'il y a eu un délit, voire un crime, on saisit la justice et on ne va pas simplement bavasser dans la presse."
L'ancienne garde des Sceaux Rachida Dati estime quant à elle que ces déclarations relèvent de la "non-dénonciation d'un crime". "... Il doit dénoncer les faits et indiquer de qui il s'agit, de quels faits il s'agit", a-t-elle précisé.
L'avis du juriste
Pour conclure, dans un blog de Libération, un juriste s'intéresse aux obligations liées à la dénonciation d'actes pédophiles. Vincent Dufief y explique qu'une personne non astreinte au secret professionnel est tenue de dénoncer ces faits aux autorités, en vertu du code pénal.
Dans l'autre sens, "affirmer publiquement qu’une personne s’est rendue coupable d’actes de pédophilie peut engendrer des poursuites pour diffamation", précise le juriste. Et "pour qu’il y ait dénonciation calomnieuse, il faut que l’auteur soit de mauvaise foi et ait conscience que les faits qu'il dénonce sont faux".
Jérôme Zimmermann
Ouverture d'une enquête
L'ancien ministre Luc Ferry devrait être entendu prochainement dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte mercredi par le parquet de Paris à la suite de ses propos tenus sur Canal+, a-t-on appris mercredi en fin de journée de source judiciaire.
L'enquête est confiée à la brigade de protection des mineurs. L'objectif est de "faire préciser" au philosophe ses déclarations lundi soir sur plateau du "Grand Journal", précise-t-on de même source.
"Dans le 'Figaro magazine' de cette semaine, vous avez un épisode qui est raconté d'un ancien ministre qui s'est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons", avait déclaré l'ex-ministre de l'Education.
"Probablement, nous savons tous ici de qui il s'agit", avait ajouté Luc Ferry. "Moi je le sais et je pense que je ne suis pas le seul", avait-il affirmé. "L'affaire m'a été racontée par les plus hautes autorités de l'Etat en particulier par le Premier ministre", avait-il expliqué, disant n'avoir "évidemment pas" de preuves. "J'ai simplement des témoignages".
"Si je sors le nom maintenant et que je lâche le nom dans la nature, premièrement c'est moi qui serai mis en examen, je serai à coup sûr condamné même si je sais que l'histoire est vraie", avait-il ajouté dans le cadre d'un débat sur le respect de la vie privée et la diffamation.
Sur LCI, mercredi, Luc Ferry a expliqué qu'il ne voulait pas accuser un ancien ministre mais au contraire, expliquer que "nous savons un certain nombre de choses qui sont crédibles et nous ne pouvons pas les dire, parce que nous n'avons pas de preuves" et "quand on n'a pas de preuves on ferme sa gueule".