Interrogé par la radio privée française Europe 1, au lendemain de son interview retentissante à l'hebdomadaire le Journal du Dimanche, sur le montant de ce qui a circulé entre Paris et l'Afrique, il s'est dit "incapable" d'en estimer le total sous les présidents français Pompidou, Giscard d'Estaing et Mitterrand. Mais, a-t-il ajouté, "j'évalue à 20 millions de dollars ce que j'ai remis à Jacques Chirac et Dominique de Villepin".
Car, selon lui, le système de financement politique occulte par des chefs d'Etat africains dont il a avoué être un acteur sous Chirac, a existé aussi sous les présidences précédentes, Pompidou, Giscard d'Estaing et Mitterrand. Le "Monsieur Afrique" du Général de Gaulle, Jacques Foccart, qu'il appelle son "maître", "m'a dit à moi que ces pratiques existaient même du temps de MM. Pompidou, Giscard d'Estaing et Mitterrand", a accusé Robert Bourgi, tout en disant ne pas aimer faire "parler les morts".
"Malettes débordantes de billets"
"J'ai souvent croisé à Libreville François de Grossouvre, Roland Dumas", deux proches du président socialiste défunt, a encore glissé l'avocat. Outre des mallettes débordantes de billets, il a assuré avoir transporté des "cadeaux" de chefs d'Etat africains destinés à Jacques Chirac et à celui qui fut son secrétaire général à l'Elysée et son ministre, Dominique de Villepin.
"Comme le président Bongo (Omar Bongo, défunt président gabonais) et les dirigeants africains savaient qu'il aimait l'art africain et qu'il était un admirateur de l'empereur", Dominique de Villepin "recevait des bustes de l'empereur, des pièces rares qui concernent l'empereur Napoléon et des masques africains", a détaillé Robert Bourgi sur Europe 1. "Je souhaite qu'on les retrouve et d'ailleurs, il y a deux ans, il me semble que Dominique de Villepin a fait procéder à une vente", a-t-il dit.
Dans le Journal du Dimanche, l'avocat avait déjà évoqué ces "cadeaux" : "je me souviens d'un bâton de maréchal d'Empire qui avait été offert par Mobutu", défunt président zaïrois. Il s'est souvenu aussi d'une montre "offerte par Bongo" à Chirac "qui devait réunir environ 200 diamants. "Un objet splendide, mais difficilement portable en France", avait noté Robert Bourgi.
Plainte en vue
Dans cette interview au Journal du Dimanche, qui a fait l'objet d'une bombe, l'avocat a affirmé que "cinq chefs d'Etat africains -Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon)- ont versé environ 10 millions de dollars" pour la campagne de réélection de Jacques Chirac en 2002.
Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont annoncé chacun qu'ils déposeraient plainte contre l'avocat. Robert Bourgi a cependant admis lundi n'avoir "aucune preuve" des accusations qu'il lance. "Dans ce domaine-là, il n'y a aucune preuve, aucune trace". "J'ai agi en mon nom personnel, personne ne m'a dicté cette interview", a répété Robert Bourgi, en niant être un conseiller officieux ou officiel de Nicolas Sarkozy. "Je veux une France propre", a-t-il lancé, en disant avoir assisté à "trop de choses ignobles".
Pour sa part, l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius a estimé lundi que ces accusations de financement occulte portées contre la présidence Chirac, constitueraient, si elles étaient avérées, "un des plus gros scandales de la droite depuis des décennies". Comme on lui demandait si l'ancien président socialiste François Mitterrand avait touché de l'argent de dirigeants africains, Laurent Fabius qui fut son chef de gouvernement a répondu: "à ma connaissance, non".
afp/cab
Nicolas Sarkozy éclaboussé?
Dans des documents diplomatiques ayant fuité via Wikileaks, Robert Bourgi est décrit par des diplomates français comme "la quintessence de l'acteur de la Françafrique" et aussi "un mercenaire uniquement préoccupé par son bien-être".
Souvent qualifié de conseiller officieux pour l'Afrique de Nicolas Sarkozy - même si à l'Elysée on se contente de relever qu'il ne figure sur aucun organigramme - Robert Bourgi exonère totalement le président actuel qui "m'a demandé de travailler pour lui, mais sans le système de financement par +valises+".
Ce n'est pas l'avis de Michel de Bonnecorse, conseiller Afrique de Jacques Chirac, qui a assuré à Pierre Péan que Bourgi a, avant 2007, déposé une grosse mallette "aux pieds du ministre de l'Intérieur" d'alors, Nicolas Sarkozy.
L'Elysée s'est refusé à tout commentaire sur cette accusation.
Commission parlementaire demandée
Manuel Valls, candidat à la primaire socialiste pour la présidentielle en France en 2012, a souhaité lundi la création d'une "commission parlementaire" sur les relations entre la France et des dirigeants africains, après les accusations de financement occulte de Robert Bourgi.
"Je crains qu'il ne soit nécessaire d'accorder du crédit à ce type de témoignage", a déclaré sur la chaîne de télévision française Canal + Manuel Valls, député-maire d'Evry, en région parisienne. Il faut "évidemment" qu'il y ait "une commission parlementaire, qu'elle prenne le temps, pour faire connaître aux Français quelle a pu être cette relation très particulière, très nauséabonde entre la France et ses anciennes colonies", a-t-il poursuivi.
"On sait bien, on a déjà entendu parler, on a lu" beaucoup sur "cette relation très particulière entre le pouvoir des gens de droite - mais ça a touché aussi la gauche il y a quelques années - et l'Afrique. Ca pue", a résumé Manuel Valls.
"On sent bien que cette campagne présidentielle risque d'être dominée par ce type de révélations", a regretté le candidat.