Des milliers d'Egyptiens étaient déjà rassemblés vendredi matin sur l'emblématique place Tahrir au Caire pour participer à une manifestation baptisée de "la dernière chance". Les rues menant au ministère de l'Intérieur non loin de la place, qui avaient été le théâtre de violents affrontements ces derniers jours, étaient encore bloquées.
Outre le départ immédiat de l'armée du pouvoir, les manifestants, qui occupent Tahrir pour le huitième jour consécutif, demandent la poursuite des responsables de la mort de 41 personnes --dont 36 au Caire-- survenues lors de violents heurts entre forces de l'ordre et des contestataires.
Gouvernement de salut national réclamé
Mohamed ElBaradei, ancien haut fonctionnaire international, a rejoint vendredi les manifestants. L'ex-chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui affiche ses ambitions pour la présidence de l'Egypte, s'est joint à des dizaines de milliers de manifestants qui participaient à la prière musulmane hebdomadaire sur la place.
Dès le sermon fini des dizaines de personnes autour de lui ont crié "le peuple veut le départ du maréchal", en référence au maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis la chute en février du président Hosni Moubarak.
L'imam conduisant la prière sur la place a réclamé dans son sermon le transfert immédiat du pouvoir à un gouvernement de "salut national" et a prévenu que les manifestants ne quitteraient Tahrir "qu'une fois leurs revendications satisfaites". "Il n'y a d'autre option qu'un gouvernement de salut national avec les pouvoirs d'un président", a déclaré l'imam Mazhar Chahine.
"La stabilité ou le chaos"
"Le vendredi de la dernière chance... la stabilité ou le chaos", titrait en une le quotidien gouvernemental Al-Ahram. "Le vendredi du tournant", affirmait de son côté le quotidien Al-Akhbar, à trois jours des premières élections législatives organisées depuis la chute de Hosni Moubarak le 11 février.
Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a de nouveau écarté jeudi un départ immédiat du pouvoir, tout en poursuivant ses consultations pour la nomination d'un nouveau Premier ministre en remplacement de celui de Essam Charaf, démissionnaire depuis lundi.
Kamal el-Ganzouri, un ancien chef du gouvernement égyptien, aurait été désigné comme nouveau Premier ministre par l'armée au pouvoir, a indiqué vendredi la télévision d'Etat. Selon les télévisions égyptiennes privées, l'armée avait décidé jeudi de charger cet ancien Premier ministre du président déchu Hosni Moubarak de former un nouveau gouvernement. Le CSFA n'a pas confirmé ces informations jusqu'à présent.
Kamal Ganzouri, qui a été aux affaires de 1996 à 1999, a donné son accord de principe à la formation d'un gouvernement de salut national après un entretien avec le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, président du Conseil suprême des forces armées (CSFA).
Affranchi de Moubarak
Il s'est toutefois démarqué du président déchu Hosni Moubarak après le soulèvement populaire du début de l'année lors d'une interview, après avoir été absent pendant 11 ans des médias. A la suite de cet entretien, plusieurs pages sur Facebook l'ont soutenu comme candidat pour la présidence de la République.
Avant d'être à la tête du gouvernement, il avait occupé le poste de ministre du Plan, où il a notamment oeuvré pour une amélioration des relations entre son pays et la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
L'armée avait accepté la démission du gouvernement du Premier ministre Essam Charaf, nommé par le conseil militaire en mars pour gérer les affaires courantes. Le conseil militaire au pouvoir avait convenu mardi avec différentes formations politiques de la formation d'un gouvernement de "salut national" en Egypte.
"Excuses" de l'armée
Plus tôt tant la journée de jeudi, l'armée a présenté des "excuses", via sa page Facebook, pour les morts survenues dans les violents affrontements entre manifestants hostiles au pouvoir militaire et forces de l'ordre. Ces heurts ont fait au moins 35 morts.
Le Conseil suprême des forces armées, dans un communiqué publié sur sa page Facebook, "exprime ses regrets et présente ses profondes excuses pour la mort en martyrs d'enfants loyaux de l'Egypte durant les récents événements de la place Tahrir".
Au moins 35 morts
Les affrontements qui ont débuté samedi au Caire et dans plusieurs autres villes ont fait officiellement 35 morts, en grande majorité sur la place Tahrir, dans le centre de la capitale égyptienne. Les forces de l'ordre sont accusées par des militants et des médecins de viser les manifestants au yeux avec des tirs de balles en caoutchouc.
L'usage massif de gaz lacrymogènes est également mis en cause dans des morts par asphyxie. Des décès par tirs de balles réelles ont également été signalés par des médecins.
Ces affrontements constituent la plus grave crise pour le pouvoir militaire depuis qu'il a pris la direction du pays après la chute du président Hosni Moubarak le 11 février dernier. Ils surviennent à quelques jours du début, lundi, des premières élections législatives depuis le renversement de Moubarak.
Les Etats-Unis demande un rapide transfert de pouvoir
La Maison blanche a exhorté vendredi l'armée égyptienne à transférer le pouvoir à un gouvernement civil le plus vite possible. Elle réclame également une enquête "indépendante" sur les décès de manifestants ces derniers jours.
"Nous croyons, et cela est très important, que le transfert complet de pouvoir à un gouvernement civil doit avoir lieu de manière juste et sans exclusive, qui réponde aux aux aspirations légitimes du peuple égyptien, dès que possible", a déclaré Jay Carney, porte-parole de la Maison Blanche, dans un communiqué.
La résolution de crise en Egypte passe par "une solution plus en profondeur, élaborée par les Egyptiens", poursuit-il. "Les Etats-Unis pensent que le nouveau gouvernement égyptien doit être doté immédiatement de l'autorité véritable" et Washington "se tiendra aux côtés du peuple égyptien tandis qu'il construit une démocratie digne de son Histoire glorieuse", assure Jay Carney.
"Nous croyons que la transition de l'Egypte vers la démocratie doit se poursuivre, que les élections doivent se dérouler rapidement, et que toutes les mesures doivent être prises pour assurer la sécurité et éviter les intimidations", poursuit le texte.
agences/mej/olhor
Deux journalistes sexuellement abusées
Une journaliste de la chaîne France 3 a déclaré avoir été violemment frappée et victime d'une agression sexuelle jeudi place Tahrir au Caire, où elle effectuait un reportage. Caroline Sinz a déclaré à l'AFP que son cameraman, Salah Agrabi, et elle-même avaient commencé à être pris à partie dans une rue menant de Tahrir au ministère de l'Intérieur, où ont eu lieu les heurts les plus violents entre manifestants et forces de l'ordre ces derniers jours.
"Nous étions en train de filmer dans la rue Mohamed Mahmoud quand nous avons été assaillis par des jeunes de quatorze ou quinze ans", a-t-elle raconté, en faisant état "d'attouchements". La journaliste et son cameraman ont ensuite été entraînés "manu militari" par un groupe d'hommes vers la place Tahrir et se sont retrouvés séparés.
"Nous avons alors été agressés par une foule d'hommes. J'ai été tabassée par une meute de jeunes et d'adultes qui ont arraché mes vêtements" et qui ont procédé à des attouchements répondant "à la définition du viol", a-t-elle poursuivi.
"Quelques personnes ont essayé de venir m'aider sans y parvenir. J'étais lynchée. Cela a duré environ trois quarts d'heure jusqu'à ce qu'on puisse m'extraire. J'ai cru que j'allais mourir", a-t-elle dit, en ajoutant que le cameraman avait aussi été "tabassé". Finalement secourue par des Egyptiens présents sur les lieux, elle a pu rejoindre son hôtel, où elle a été assistée par l'ambassade de de France au Caire avant de consulter un médecin.
Et puis une éditorialiste américano-égyptienne, Mona al-Tahawy, arrêtée sur la place Tahrir, a quant à elle annoncé sur son compte Twitter avoir été libérée jeudi après avoir été agressée sexuellement par des policiers. Récompensée par plusieurs prix, Mme Tahawy s'exprime régulièrement sur les questions liées à l'islam et aux pays arabes.