L'embargo pesant sur la publication des premières estimations des résultats de l'élection présidentielle est au coeur d'une polémique en France depuis plusieurs jours. Une loi datant de 1977 punit de 75'000 euros d'amende toute communication d'un résultat avant la fermeture du dernier bureau de vote, à 20 heures.
Or, pour beaucoup d'observateurs, ce principe, à l'origine destiné à éviter que les derniers votants ne soient influencés, est aujourd'hui obsolète. D'une part parce que les médias étrangers ne sont pas soumis à cet embargo, et peuvent diffuser de premières estimations avant 20 heures; d'autre part, parce qu'avec les réseaux sociaux, la rétention de ce genre d'informations est quasiment impossible.
Ce dimanche en a été la preuve: sur le réseau social Twitter, les internautes ne se sont pas privés de contourner l'embargo. Mais pour se protéger, ils ont mis au point un code. Ces derniers jours, les mots-clés les plus populaires sur le réseau social ont été "#RadioLondres" et "#IciLondres", en référence aux messages cryptés envoyés sur les ondes de la BBC par la France Libre durant la Seconde Guerre mondiale.
Les "résistants" redoublent d'imagination
Cachés derrière le "hashtag" RadioLondres, ces "résistants" ont redoublé d'humour et d'impertinence. Le président sortant a ainsi été plusieurs fois associé à son pays d'origine, la Hongrie, à sa petite taille, à son affection pour la marque de montres Rolex... Sa relation avec la chanteuse d'origine italienne Carla Bruni a également été ciblée, dans des messages tels que: "Carlita ne chantera pas, je répète Carlita ne chantera pas" ou encore: "la bambina ne grandira pas au château, je répète la bambina ne grandira pas au château".
Message codé sur twitter: "Les talonnettes sont dans les cartons"
Message codé: "Carla Sarkozy serait sur le point de modifier son statut Facebook"
Quant à François Hollande, c'est d'abord son nom qui a inspiré les internautes, mais aussi l'attaque du socialiste Arnaud Montebourg, qui l'avait traité de "Flanby".
Message codé sur twitter: "j'ai plus de mimolette"
Message codé: "Dans les DOM TOM le flan est bien plus cher que la Rolex"
"Twitter va renflouer la dette de la France"
"Communiste", "rouge" ou encore "Potemkine" pour le candidat du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon; "Bleu marine" pour Marine Le Pen (Front national); "lunettes vertes", "éolienne" ou "la Norvège" pour l'écologiste Eva Joly; "Béarn" pour le candidat du MoDem François Bayrou... Des comparaisons plus imagées les unes que les autres se sont multipliées toute la journée sur Twitter.
Au point d'inspirer d'autres messages ironiques aux internautes: "à 75'000€ la blague postée sur #RadioLondres, Twitter va renflouer en 24 heures la dette de la France", a ainsi plaisanté un internaute.
"Le SMIC à 1700€ de Melenchon serait financé par les amendes de 75.000€"
Pauline Turuban
L'agence France Presse brise l'embargo
Contre toute attente, l'Agence France Presse (AFP) a publié de premières estimations de résultats avant 20 heures.
A 18h50, l'AFP a diffusé une dépêche indiquant: "Plusieurs médias étrangers ayant diffusé des estimations basées sur les premiers dépouillements des bureaux de vote qui ont fermé à 18 heures, l'AFP met à la disposition de ses clients les informations sur les estimations qui sont en sa possession."
A partir de cette annonce inattendue, les internautes ont renoncé à utiliser leurs messages codés et partagé ouvertement les estimations.
Le parquet de Paris a ouvert une enquête sur la publication de ces estimations avant 20 heures. L'AFP, deux médias belges, un média suisse, un site internet basé en Nouvelle-Zélande et un journaliste belge sont visés.