"Nous voulons que l’argent revienne le plus tôt possible. Si on nous le rend dans 50 ans comme avec l’argent des Juifs, cela n’a aucun intérêt. Parfois la balle est dans notre camp, parfois elle est dans votre camp". Dans un entretien au Palais de Carthage, le président tunisien invoque la détérioration économique de son pays pour justifier le retour des fonds Ben Ali: "Nous avons 800'000 chômeurs. Des régions sont prêtes à exploser car, les gens ne supportent plus la misère".
Des chiffres dérisoires
Le montant des avoirs bloqués par Berne – plus de 60 millions de francs – suscite son étonnement: "J'entends parler de chiffres dérisoires. On dit Monsieur X ou Y a déposé tant d’argent. Mais il n’y a pas que des personnes! Il y a aussi des entreprises, des conglomérats qui ont beaucoup fait pour voler l’argent de la Tunisie. Aujourd'hui, j’estime que nous parlons seulement du 10% des avoirs qui ont été déposés dans les banques suisses".
Le président tunisien réclame une "prise de conscience" des autorités politiques et des banquiers suisses. "Je vais probablement chercher à rencontrer le Conseil fédéral. Ma venue à Genève en juin sera l’occasion de revoir d’anciens amis politiques suisses et, je l’espère, me faire de nouveaux amis".
Migrants clandestins: trouver des solutions humaines avec la Suisse
Autre dossier entre Berne et Tunis, celui de la question migratoire. En mars passé, les deux capitales signaient un partenariat qui doit notamment régler les renvois de plusieurs centaines de Tunisiens, déboutés de l’asile en Suisse. "Il y a ce malheureux problème de 3000 jeunes qui se sont un peu perdus. Ce ne sont pas le genre d'émigrants que nous aimerions voir s’installer dans des pays amis. Nous allons pouvoir trouver des solutions humaines à ce problème douloureux".
"A ma connaissance, aucun vol spécial n'a eu lieu. Mais si les Suisses se débarrassent de ces importuns de manière brutale, ce sera très mal vécu en Tunisie", a-t-il estimé. Et Moncef Marzouki d'avertir: "Personne ne peut accepter que l’on chasse 3000 pauvres qui ont quitté la Tunisie parce qu'ils n’arrivaient pas à y vivre et que l'argent qui pourrait les faire vivre est dans les banques suisses. J'espère que nos amis suisses vont prendre en compte cette contradiction."
Yves Steiner
Relations avec la France: "La mauvaise humeur est terminée, je me rendrai à Paris"
Après la Révolution, la Tunisie a refusé d'envoyer un ambassadeur à Paris. L'élection du socialiste François Hollande change la donne.
"La France de Monsieur Sarkozy a appuyé la dictature. Je ne peux donc pas cacher qu'il y a eu de la mauvaise humeur. C’est terminé, car Monsieur Hollande n’est pas responsable des errements de la politique française avant la Révolution. Oui, il va y avoir un ambassadeur à Paris. Nous avons son nom, il sera très vite connu. Moi-même je me rendrai à Paris en visite officielle. J'ai appelé Monsieur Hollande pour le féliciter de son élection et il m'a promis de venir en Tunisie avant la fin de l'année".
Abolition de la peine capitale en Tunisie: "Tant que je serai là, personne ne sera exécuté"
Il y a peu, un procureur d’un Tribunal militaire tunisien a réclamé la peine de mort contre l'ex-président Ben Ali. Dans un même temps, le gouvernement actuel veut introduire ce châtiment dans la future Constitution. "Je m’opposerai avec force, et je ne serai pas le seul, à l'inscription de la peine de mort dans la Constitution". Ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, Moncef Marzouki promet de ne pas céder: "Je suis un abolitionniste convaincu. Tant que je serai là, personne ne sera exécuté. C’est ma conviction profonde. Elle n’est pas partagée par tous les Tunisiens, mais j'assume. La peine de mort en Tunisie n'a pas d'avenir».
Moncef Marzouki s’est aussi exprimé sur le cas de Bagdadi Mahmoudi, un ex-premier ministre du Colonel Kadhafi. Réfugié à Tunis, il demande l’asile politique. Accédant aux demandes de Tripoli, le gouvernement tunisien veut l’extrader au plus vite. Une décision qui fâche le président Moncef Marzouki: "Je suis un militant des droits de l'Homme qui est devenu président de la République. On ne change pas sa nature. Pour moi, livrer un homme qui a demandé l'asile politique est une aberration".
Et celui-ci d’enfoncer le clou, quitte à irriter Tripoli: "J’ai toujours dit aux Libyens que, comme nous qui réclamons l’extradition de Ben Ali à l’Arabie Saoudite, vous avez le droit de demander l’extradition de Monsieur Mahmoudi. Sauf qu'il y a une différence: la Tunisie est un Etat de droit. Nous sommes capables d'assurer un procès équitable, nous n’avons pas la peine de mort de facto alors que de l’autre côté de la frontière, cela pose encore un problème. Monsieur Mahmoudi sera extradé que si nous avons toutes les assurances. La Tunisie n'a pas seulement que des intérêts, elle a aussi un honneur. Je suis là pour défendre cet honneur".