Les activités de trading des grandes banques, accusées d'avoir accéléré voire causé la crise financière, sont sous le feu des critiques depuis plusieurs années. Des traders fous, des milliards de francs en jeu et des cas de fraudes retentissants ont ébranlé la confiance dans les établissements bancaires.
Comment de tels excès ont-ils pu être commis? Quelles ont été les conséquences pour les traders mis en cause? Quel est le rôle des banques dans ces agissements?
Alors que le procès du trader de l'UBS s'est ouvert lundi à Londres (lire: Ouverture du procès du trader londonien "indélicat" d'UBS), nous nous sommes penchés sur deux affaires particulièrement représentatives des dérives du trading: le cas Kerviel/Société Générale ainsi que sur la perte colossale de JPMorgan Chase.
LE ROLE DES PRODUITS FINANCIERS COMPLEXES
Le 24 janvier 2008, la Société Générale annonce une perte gigantesque de 4,9 milliards d’euros (5,9 milliards de francs). Cette débâcle est attribuée par la banque à l’un de ses traders, le Français Jérôme Kerviel, qui est immédiatement licencié.
Jérôme Kerviel opérait à Londres dans le domaine des "Exchange-Traded Funds" (ETF), censés reproduire les performances d’un indice boursier, d’une devise ou d’une matière première. C’est aussi sur ces instruments financiers très complexes que travaillait le trader indélicat d’UBS.
Selon la Société Générale, Jérôme Kerviel aurait effectué des opérations litigieuses et camouflé frauduleusement ses prises de risques faramineuses. Avant l’annonce de la perte par la banque, les positions ouvertes par le trader auraient totalisé environ 50 milliards d’euros.
La "baleine de Londres"
Le 10 mai 2012, la banque américaine JPMorgan Chase annonce elle aussi une perte colossale de trading (lire: Deux milliards de pertes de trading pour la première banque américaine). Estimée tout d’abord à 2 milliards de dollars, elle sera ensuite réévaluée à au moins 5,8 milliards de dollars (5,5 milliards de francs).
Là encore, c’est un trader français opérant dans la City qui est considéré comme le principal responsable de la déconfiture. Surnommé "la baleine de Londres" en raison de ses positions très importantes sur les marchés, il a été licencié, comme deux de ses supérieurs.
L’employé mis en cause travaillait pour le compte du "Chief Investment Office" (CIO) du géant bancaire américain. Des produits financiers très sophistiqués - appelés "Credit Defaults Swaps" - sont une nouvelle fois à l’origine de la perte.
LES CONSEQUENCES JUDICIAIRES POUR LES TRADERS
Le 5 octobre 2010, plus de deux ans et demi après la révélation des faits, Jérôme Kerviel est reconnu coupable de faux et usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuse de données informatiques par la justice française.
L’ex-trader de la Société Générale, qui n’a jamais nié les faits mais a affirmé que son employeur était au courant de ses agissements, est condamné à cinq ans de prison, dont trois ans ferme. Il doit en outre payer 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la banque.
Le procès en appel se déroule en juin 2012 à Paris. Après quatre semaines d’audiences, l’accusation requiert cinq ans de prison ferme, la peine maximale, tandis que la défense plaide la relaxe. Le verdict devrait être rendu le 24 octobre 2012. (lire: Cinq ans de prison requis contre l'ancien trader Jérôme Kerviel)
"Tempête dans un verre d'eau"
Dans l’affaire JPMorgan Chase, le cas est quelque peu différent. Le trader mis en cause était un employé de haut rang et faisait partie d’une petite unité relativement autonome sous la responsabilité quasi directe du PDG Jamie Dimon.
Pour l’heure, la banque n’a pas porté plainte. Avant d’admettre la gravité des faits, JPMorgan Chase a longtemps minimisé leur portée, les qualifiant de "tempête dans un verre d’eau" ou de "problème isolé de gestion des risques". Une enquête interne a été lancée.
Selon cette dernière, toujours en cours, plusieurs employés auraient tenté de dissimuler l’ampleur des pertes. Les autorités judiciaires américaines et la Security and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain de la Bourse, enquêtent eux aussi afin de déterminer si des délits ont été commis.
LA RESPONSABILITE DES BANQUES
La Société Générale n’a jusqu’à présent jamais été jugée coresponsable des actes commis par Jérôme Kerviel, en dépit des affirmations du trader selon lesquelles la hiérarchie n’ignorait rien des positions risquées et avait fermé les yeux tant que celles-ci rapportaient de l’argent à la banque.
De même, de nombreux banquiers estiment qu’il est impossible que la Société Générale n’ait pas été courant, particulièrement en raison des sommes considérables en jeu (50 milliards d’euros). "Tout est contrôlé, surveillé, sauvegardé", affirme l’un d’entre eux dans une enquête du Monde.
La justice a toutefois suivi l’argumentaire de la Société Générale. Selon cette dernière, Jérôme Kerviel a réussi à contourner les procédures de contrôle interne grâce à son expérience en "back office" (service de support), où il a pu se familiariser avec les méthodes de surveillance des opérations de trading.
La Commission bancaire française, chargée du contrôle des établissements de crédit, a néanmoins infligé un blâme à la Société Générale en raison des "carences graves du système de contrôle interne". Elle a assorti cette peine d’une amende de 4 millions d’euros.
L'affaire Credit Suisse
Dans le cas de JPMorgan Chase, la justice semble pour l’instant davantage s’intéresser aux actes des employés ou anciens employés de la banque - sept d’entre eux ont déjà fait appel à des avocats, selon plusieurs médias - qu’à la responsabilité de la banque elle-même.
Les pratiques opaques du Chief Investment Office - originellement censée couvrir les risques, la "baleine de Londres" s’était muée en spéculateur glouton - ainsi que les manquements du contrôle interne sont cependant régulièrement pointés du doigt.
Toujours est-il que JPMorgan Chase risque de voir sa réputation sérieusement entachée. Le Chicago Tribune évoque une affaire similaire datant de 2007, au tout début de la crise financière, dans laquelle était empêtré le Credit Suisse.
En février dernier, deux anciens employés du géant helvétique ont plaidé coupable de manipulation comptable dans cette affaire. Le Credit Suisse, qui a coopéré avec la SEC et a convaincu du caractère isolé des malversations, n’a finalement pas été inquiété. (lire: Deux ex-cadres de Credit Suisse plaident coupables de manipulation comptable aux USA)
Didier Kottelat