Le projet de loi visant à légaliser le mariage homosexuel en France est examiné à l'Assemblée nationale à depuis mardi. Deux semaines de débat ont été prévues, afin de laisser aux députés le temps d'étudier la montagne d'amendements déposés contre le texte: plus de 5300, issus dans leur immense majorité de l'UMP et du Front national.
La multiplication des amendements constitue une stratégie d'obstruction assez classique en politique française. Ils portent essentiellement sur les sujets qui divisent le plus les Français: limitation de l'adoption et de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples hétérosexuels; réaffirmation de la supériorité du droit de l'enfant sur le droit à l'enfant; définition du mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme et création d'une nouvelle forme d'union civile élargissant les droits des couples de même sexe.
Certains amendements se basent toutefois sur des arguments plus inattendus, nettement provocateurs, voire franchement farfelus.
Pallier de possibles effets pervers
L"immigration nuptiale"
Dans son amendement n°4458, le député UMP des Yvelines, Henri Guaino, suggère d'évacuer du projet de loi l'alinéa qui autorise les couples homosexuels bi-nationaux à se marier même lorsque l'un d'entre eux est originaire d'un pays où le mariage gay est interdit. Argument invoqué: l’étude d'impact n'a pas pris en compte "les flux d’étrangers qui pourraient vouloir venir se marier en France du fait de ces nouvelles dispositions".
Les frontistes Marion Maréchal-Le Pen, Jacques Bompard et Gilbert Collard corroborent: pour eux, "cet article ouvrirait la voie à une immigration nuptiale" et créerait "une inégalité (...) avec les couples hétérosexuels" puisque ces derniers ne peuvent pas "faire jouer la règle française relative aux (...) conditions requises pour contracter mariage dans le cas où elle serait plus favorable que celle du pays d'origine."
Le surcoût pour la sécurité sociale
Pour certains députés, l'augmentation du nombre de mariages aura pour effet d'augmenter le montant des pensions de réversion si un conjoint décède (amendement n° 5181, Guy Geoffroy); le montant des prestations de retraite(amendement n°1618, Marc Le Fur); le montant des exonérations fiscales dont peuvent bénéficier des époux (amendement n°1621, Marc Le Fur).
La réduction du nombre d'enfants adoptables
Dans son amendement n°5259, Damien Abad affirme que le projet de loi portera préjudice aux couples hétérosexuels qui désirent adopter. "On sait que certains pays d'Afrique noire, d'Europe de l'Est ou encore la Chine sont farouchement opposés à l’idée de faire adopter leurs enfants par des couples homosexuels, et qu’ils pourraient désormais refuser que leurs enfants soient adoptables en France", argue-t-il, suivi par de nombreux autres députés.
Jouer la provocation
Légalisation de l'inceste, de la polygamie et des mariages de mineurs
Dans une position provocatrice assumée, le député-maire frontiste d'Orange, Jacques Bompard, a déposé plusieurs amendements. Il préconise ainsi d'autoriser les mariages incestueux en abrogeant l'interdiction des mariages entre membres de la même famille (amendements n°4668 et 4667) '"pour supprimer toute forme de discrimination".
Dans la même logique, le député d'extrême droite préconise d'ouvrir le mariage à plus de deux personnes avec son amendement n°4661.
Enfin, il récidive avec l'amendement n°4662, dans lequel il préconise d'abroger les articles du Code civil qui fixent l'âge légal du mariage à 18 ans.
Bisbilles sémantiques
Certains députés se présentent comme très attachés à la clarté des termes. Dans son amendement n°834, le député UMP Eric Straumann réclame ainsi que le texte soit rebaptisé "projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, et supprimant la nécessité de la différence sexuelle propre à la filiation".
L'amendement n°4865, déposé par Patrick Ollier, participe du même esprit. Pour le député UMP, qui n'hésite pas à citer Albert Camus, le texte devrait être intitulé: "projet de loi "abolissant l’altérité sexuelle en ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et instaurant un droit à être parent au détriment du droit de l’enfant".
Discrimination anti-hétérosexuels
Les frontistes Marion Maréchal-Le Pen, Jacques Bompard et Gilbert Collard ont déjà utilisé cet argument. Jean-Pierre Decool, lui, réclame dans son amendement n°44 la suppression de l'article qui donne la possibilité à un salarié homosexuel de refuser une mobilité professionnelle vers un pays où l'homosexualité est condamnée pénalement. "L’inscription dans la loi de ce droit au refus (...) peut créer un sentiment d’injustice chez les couples mariés hétérosexuels qui sont, de fait, davantage sujets à la mobilité", écrit-il.
Le "mérite de l'officier d'état civil"
Au chapitre de l'épineuse question du patronyme de l'enfant, Jacques Bompard, toujours, propose une solution radicale (amendement n°4672): "L’enfant prend automatiquement comme premier prénom le premier prénom de l’officier de l’état civil qui reçoit la déclaration." "Cet amendement vise à reconnaître le mérite des officiers d'état civil".
Imposer des limites
La clause de conscience
Plusieurs amendements souhaitent laisser aux officiers d'état civil leur "liberté de conscience". Ainsi, l'amendement n°1372, soumis entre autres par Jean-Frédéric Poisson, recommande-t-il qu'"un officier d’état civil (soit) toujours libre de refuser de célébrer un mariage entre couples de personnes de même sexe".
A cet égard, l'amendement n°571 de Jacques-Alain Benisti va plus loin, puisqu'il semble cautionner l'homophobie supposée des maires d'outre-mer: "certains maires, notamment outre-mer, préfèreront encourir la suspension, voire la radiation et les sanctions pénales, plutôt que de devoir célébrer des mariages de couples de même sexe", écrit-il.
Proposer des alternatives radicales
Interdiction d'adopter pour les célibataires
Plusieurs députés UMP, dont Hervé Mariton, préconisent d'abroger l'article du Code civil qui étend le droit d'adopter un enfant à toute personne seule âgée de plus de 28 ans (amendement n°5052).
Suppression pure et simple du mariage civil
Puisque "le mariage est une affaire privée qui ne concerne pas l'Etat", Jacques Bompard a déposé un autre amendement (n°5194) préconisant de supprimer le chapitre mariage du code civil.
Pauline Turuban