Le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a acquitté lundi en appel deux ex-ministres initialement condamnés notamment pour "entente en vue de commettre le génocide" de 1994, illustrant la difficulté de prouver comment a été planifié le massacre de 800'000 personnes.
En septembre 2011, les juges de première instance avaient condamné Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza, respectivement ministres du Commerce et de la Fonction publique en 1994, à 30 ans de prison pour "entente en vue de commettre le génocide" et "incitation directe et publique au génocide" perpétré contre la minorité tutsie du pays.
La chambre d'appel du TPIR, présidée par le juge américain Theodor Meron, a lundi "infirmé leur condamnation" et "ordonné leur libération immédiate".
Preuves insuffisantes
Dans les cas de Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza, les juges de première instance s'étaient appuyés sur la participation des deux hommes au Conseil des ministres du 17 avril 1994, qui avait révoqué le préfet de la province méridionale de Butare, Jean-Baptiste Habyarimana, un Tutsi qui avait jusqu'alors empêché dans sa région les massacres qui avaient commencé dans le reste du pays.
Ils avaient également pris en compte leur présence officielle, 48 heures plus tard, à une réunion publique dans la ville de Butare, durant laquelle le président par intérim Théodore Sindikubwabo avait appelé dans un discours incendiaire au massacre des Tutsi de la zone.
Verdict de première instance désavoué
Alors que ces juges avaient vu dans ces deux faits une "entreprise criminelle" en vue de l'élimination des Tutsis de Butare, les magistrats d'appel ont estimé que le limogeage du préfet, s'il avait contribué à la généralisation des tueries à Butare, pouvait avoir été motivé par "des raisons politiques et administratives".
Ils ont également suivi la défense qui affirmait que les accusés ne connaissaient pas à l'avance le contenu du discours qu'allait prononcer M. Sindikubwabo - présumé décédé en exil à la fin des années 1990.
Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza n'étaient rejugés en appel que pour les deux crimes pour lesquels ils avaient été condamnés. Ils avaient déjà été acquittés en première instance de plusieurs autres chefs d'accusation, notamment génocide, complicité et crimes contre l'humanité.
afp/jgal
Les autres jugements prononcés
Au moins trois responsables rwandais de l'époque, le Premier ministre d'alors Jean Kambanda, son ministre de l'Information Eliézer Niyitegeka et un ancien maire et haut fonctionnaire, Jean-Baptiste Gatete, ont été déclarés coupables d'"entente" et le verdict a été confirmé en appel.
Plusieurs autres condamnations pour "entente" prononcées en première instance, sont en cours d'examen par la Chambre d'appel qui a déjà annulé un certain nombre d'entre elles, estimant souvent les preuves insuffisantes.
Le Tribunal pour le Rwanda fermera fin 2014
Le génocide au Rwanda a été déclenché après l'assassinat du président rwandais hutu de l'époque, Juvénal Habyarimana, dont l'avion avait été abattu le 6 avril 1994 au-dessus de Kigali.
Selon l'ONU, d'avril à juillet, environ 800'000 personnes, essentiellement tutsi, ont été tuées par des extrémistes hutu.
Le TPIR, mis en place par une résolution de l'ONU du 8 novembre 1994, a clos l'ensemble des procès de première instance et doit encore juger une quinzaine de dossiers en appel avant de fermer fin 2014.
Réactions contrastées
"Personne ne dira plus que le gouvernement a planifié le génocide", a réagi Justin Mugenzi après l'énoncé du verdict d'appel.
Jean-Pierre Dusingezemungu, président de l'association Ibuka de rescapés du génocide, s'est dit de son côté "consterné par cette décision" qui "est une façon de soutenir les négationnistes" et dans laquelle il voit "un refus de montrer que le génocide a été préparé".
L'"entente", une infraction distincte du génocide
L'"entente en vue de commettre le génocide", infraction prévue par la Convention de l'ONU sur le sujet, est une infraction distincte du génocide lui-même.
Elle n'implique pas que ledit génocide ait effectivement été commis ou que les auteurs de l'"entente" y aient pris directement part.
Selon certains juristes, la preuve de l'entente est rendue difficile à apporter devant le tribunal, qui de par son statut ne peut examiner que les faits s'étant déroulés durant l'année 1994.