Le comique Beppe Grillo bouleverse la donne des élections législatives italiennes. A l'approche du scrutin des 24 et 25 février, le leader charismatique du Mouvement 5 étoiles (M5S pour "MoVimenti 5 Stelle") devance le chef du conseil sortant Mario Monti dans les derniers sondages. Il est crédité de 13 à 16%, voire 18% des intentions de vote.
Tribun de 64 ans, petit homme grassouillet aux cheveux ébouriffés, Beppe Grillo a très vite été surnommé par les médias francophones le Coluche italien. Mais au-delà de la comparaison facile, qui est-il vraiment? Et comment a-t-il permis à son mouvement populiste de devenir la troisième force politique transalpine? Décryptage.
Un humoriste de plus en plus politique
Né le 21 juillet 1948 à Gênes, Giuseppe Piero Grillo a débuté sa carrière dans des cabarets avant d'être révélé au grand public dans les années 1970 par la Rai, la télévision publique italienne. Son succès fait de lui un millionnaire, ce qui lui permet de financer une grande partie de son mouvement M5S.
Avec ses shows satiriques, de plus en plus politiques, l'humoriste finit par être mis à l'écart des chaînes publiques. Il n'en cesse pas pour autant de se donner en spectacle aux quatre coins de la grande botte, souvent dans des salles de sport.
La création de son blog en 2005 marque le début d'une nouvelle ère, offrant à Beppe Grillo une tribune de choix. Aujourd'hui, son site est l'un des plus lus d'Italie, et même du monde.
Il n'est toutefois pas le seul outil du tribun, qui fonde sa communication sur le net 2.0 grâce aux conseils éclairés de Gianroberto Casaleggio, cofondateur du Mouvement 5 étoiles et véritable "gourou" de la comm'.
Entre web et meetings
Boycottant les plateaux télévisés sur lesquels se pressent ses adversaires, l'exubérant Génois mène campagne sur le web et bat le pavé. Ses débuts hors du monde du spectacle se font en 2007 avec l'organisation de manifestations massives contre la classe politique intitulées "Vaffanculo Day" (Journée du va-te-faire-foutre).
Doté d'une page Facebook à un million de fans et d'un compte Twitter aux près de 900'000 followers, Beppe Grillo continue à tacler les institutions et ceux qui les incarnent.
"Les autres ne savent pas utiliser ces instruments. Monti a ouvert une page Facebook. Il a déclaré avoir reçu beaucoup de compliments et quelques critiques. Quelques critiques? Il a reçu 2,5 millions de 'vaffancculo'!", a-t-il par exemple tonné lors d'un meeting électoral à Palerme.
Car en plus d'investir le web, le tribun effectue depuis janvier un Tsunami Tour, sillonnant la Péninsule au volant d'un camping car et exerçant ses talents d'orateurs sur des places publiques où des centaines d'Italiens viennent l'écouter.
Internet, une promesse électorale
Si ces rassemblements rappellent ceux organisés par le Français Jean-Luc Mélenchon, ou son utilisation du web celle faite par Barack Obama lui-même, Beppe Grillo passe pour un "précurseur" aux yeux de nombreux communicants. Son innovation? Avoir fait d'Internet plus qu'un outil, une promesse électorale.
Alors que Barack Obama utilisait le web dans une optique de conquête des voix, l'Italien fait d'Internet un mode de gestion de la vie citoyenne, a notamment souligné Olivier Cimelière, l'auteur du Blog du communicant 2.0, interrogé mardi par l'émission Les Temps Modernes sur la RTS.
Chantre de la démocratie directe sur Internet, Beppe Grillo prône entre autres le wifi gratuit pour tous les Italiens (voir tweet ci-dessous).
Programme flou à populisme revendiqué
Au départ, le Mouvement 5 étoiles compte cinq thèmes au coeur de son idéologie: la lutte contre la privatisation de la distribution d'eau, la défense des transports publics, du développement, d'Internet pour tous et de l'environnement.
Flou, mais efficace. Les positions pour l'écologie, la lutte anti-corruption, la transparence ou encore le rejet de l'austérité touchent l'électorat, et les plus jeunes notamment (voir ci-contre).
Le programme, à peine moins vague, mentionne "Vingt points pour sortir de l'obscurité". Il propose par exemple le retour à la lire et l'instauration d'un "revenu de citoyenneté de 1000 euros par mois sur trois ans pour chaque Italien qui en aurait besoin". Le financement prévu reste, lui, un mystère.
Et à ceux qui l'accusent de populisme, Beppe Grillo rétorque: "Populistes ? Oui,
nous sommes populistes, faites-le savoir!"
"Revendiquer le fait d'être populiste est une tendance assez récente", observe Thierry Herman, professeur en rhétorique à l'Université de Neuchâtel. "Ce faisant, Beppe Grillo se range parmi une petite cohorte d'hommes politiques où l'on retrouve Jean-Luc Mélenchon ou Oskar Freysinger, qui adoptent une ligne selon laquelle le peuple a toujours raison."
Des grillons à la conquête du Parlement
En 2012, dans un contexte de ras-le-bol généralisé sur fond de crise économique et de scandales politico-financiers, la recette a fonctionné.
En mai, lors des municipales, les "grillini" (les petits grillons, soit les candidats de Beppe Grillo) ont remporté
la victoire dans plusieurs villes, dont la bourgeoise Parme qui a remis ses clés à un banquier de 39 ans inexpérimenté en politique. Autre surprise aux régionales d'octobre,
le M5S est devenu le premier parti en Sicile.
"Notre succès, c’est un peu comme un virus. Un
virus pour lequel ils n’ont pas trouvé de vaccin et qui se propage comme une
épidémie, se plaît à expliquer Beppe Grillo, qui ne peut lui-même pas se porter candidat en raison d'une condamnation pour homicide
en 1980 après un accident de voiture qui tua trois personnes.
La vague atteindra-t-elle le Parlement? Les sondages le laissent augurer. Reste à connaître les résultats des urnes.
Juliette Galeazzi avec afp
Qui votera pour le Mouvement 5 étoiles?
Si le vote protestataire fait le lit du Mouvement 5 étoiles (M5S) porté par Beppe Grillo, les partisans de l'humoriste ne sont pas que des mécontents.
Une étude du think tank britannique Demos, publiée le 14 février et rapportée par Olivier Cimelière sur le "Blog du communicant 2.0", souligne que les électeurs du M5S sont pour la plupart issus de la classe moyenne et sont plus éduqués que la moyenne.
Parmi eux se retrouvent beaucoup de diplômés déclassés, des précaires mais aussi des cadres et des petits patrons.
Enfin, les électeurs déçus des partis traditionnels et les abstentionnistes pour une fois motivés viennent grossir les rangs des "grillinis".
Les principaux candidats en lice
Selon les derniers sondages, le Parti démocrate (centre-gauche) de Pier Luigi Bersani bénéficie avec 33 à 34% des suffrages d'une avance de seulement 2,5 à 5,5 points sur la droite de Silvio Berlusconi.
Il Cavaliere rallie pour sa part entre 28,5 à 30,5% avec la coalition regroupant le Peuple de la liberté et la Ligue du Nord.
La performance de Mario Monti, le président sortant du Conseil, reste l'un des gros points d'interrogations du scrutin. Il est crédité de 10 à 14% des intentions de vote.
Quelques déclarations notoires
Le tribun Beppe Grillo, qui n'a pas la langue dans sa poche, a fait quelques déclarations notoires, qui ne sont pas passées inaperçues et restent... sur Internet. Parmi elles:
"Israël est une dictature militaire prête à déchaîner la Troisième Guerre mondiale."
"Je veux un Etat avec des couilles."
"Le Vatican est la plus grande multinationale du monde avec 2 millions d'employés au noir."
"Comment peux-tu demander des sacrifices aux Italiens alors que ta présidence coûte 240 millions d'euros par an, quatre fois Buckingham Palace"?