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L'Iran est parvenu à faire taire ses cyber-dissidents avant la présidentielle

L'une des pages qui apparaît lorsqu'un Iranien se connecte à un site interdit. [BEHROUZ MEHRI]
L'une des pages qui apparaît lorsqu'un Iranien se connecte à un site interdit. - [BEHROUZ MEHRI]
Les Iraniens votent le 14 juin pour élire le successeur du président Ahmadinejad. Pour éviter que les voix de l'opposition se fassent entendre comme en 2009, le régime a placé une chape de plomb sur internet. Explications.

En 2009, internet et les réseaux sociaux avaient servi de courroie de transmission à la contestation après l'annonce de la victoire du conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidentielle iranienne. A la veille d'un nouveau scrutin, la situation a bien changé. Le régime a repris les choses en main et placé une chape de plomb sur le cyber-espace.

1. Ce qui s'est passé en 2009

L'annonce de la victoire de Mahmoud Ahmadinejad à la présidentielle de 2009 provoque un large mouvement de contestation, aussi appelé la "Révolution verte". Le régime est accusé de fraude électorale aux dépens du candidat de l'opposition Mir Hossein Mousavi.

Les opposants ont massivement recours aux réseaux sociaux, et surtout à Twitter, pour appeler à la résistance, organiser des manifestations et diffuser des informations sur la répression dont ils sont victimes. C'est aussi sur Twitter que l'internaute peut apprendre à détourner la censure. A lire, l'éclairage publié en 2009 sur le sujet: Iran.

L'Iran n'était manifestement pas préparé à cet usage des réseaux sociaux. Les choses ont bien changé depuis...

2. Ce qui a changé depuis 2009

L'Iran a tiré les "leçons de ses erreurs". Le régime a repris le contrôle total du cyber-espace grâce à une stratégie globale.

Misant sur des moyens technologiques et humains importants, les autorités ont si profondément remanié internet que le réseau est devenu un outil de surveillance et de répression. En 2012, le ministre iranien de l'Information et de la communication parlait lui-même d'un "intranet national" permettant la mise en place d'un "internet propre" (article de cnet.com du 9 avril 2012).

Conséquence: les réseaux sociaux ont été désertés par les dissidents, qui se sont tus suite à la surveillance et aux menaces qui pèsent sur eux et leurs proches. Les cyber-dissidents de 2009 sont en prison, en exil ou se terrent chez eux, selon Archippe Yepmou, président d'Internet sans frontières interrogé dans Les Temps modernes (émission à écouter en suivant ce lien).

3. Concrètement, quand un Iranien veut se connecter...

Les moyens mis en place pour contrôler internet sont divers.

Le filtrage d'internet: les réseaux sociaux utilisés en 2009, soit Facebook et Twitter, sont tout simplement bloqués sur le territoire iranien. L'internaute lambda ne peut s'y connecter. Il n'est pas non plus possible de consulter Google ou Yahoo, l'utilisateur étant redirigé vers des sites autorisés. Quant à la message Gmail, elle subit de nombreuses perturbations (communiqué de Reporters sans frontières du 12 juin 2013).

L'Iran dispose d'un "Groupe de travail de détermination de contenus criminels" qui a le pouvoir de bloquer les sites internet jugés dangereux. Depuis plusieurs semaines, c'est le cas de nombreux sites d'information d'opposition.

Le ralentissement de la bande passante, qui rend difficile voire parfois impossible l'accès à internet. Ces ralentissements sont particulièrement utilisés lorsqu'une information sensible circule. Cette mesure permet aussi de limiter l'utilisation de logiciels permettant de détourner la main-mise du régime sur internet.

Le pistage de l'internaute: un utilisateur iranien ne peut pas faire un pas sur internet sans être surveillé. Les sites qu'il consulte, les e-mails qu'il échange... Toutes ces informations sont à la disposition du régime.

Le blocage de logiciels: depuis le 4 mai 2013, les principaux logiciels de contournement de la censure (VPN, Kerio, open VPN) sont bloqués, rendant l’accès à un internet non filtré extrêmement difficile, dénonce Reporters sans frontières (communiqué du 7 mai 2013).

Enfin, le gouvernement développe un "logiciel intelligent" qui permettrait un accès restreint à Twitter ou Facebook plutôt qu'un blocage complet de ceux-ci. (article de cnet.com du 6 janvier 2013).

4. A quoi s'attendre?

Les moyens dont bénéficient encore les opposants iraniens de faire entendre leur voix sont rares et très aléatoires. Quant aux moyens de pression et répression dont dispose le régime, en Iran et sur les exilés à l'étranger, ils sont particulièrement efficaces.

Si un mouvement de contestation devait voir le jour après l'élection de ce week-end, ce n'est vraisemblablement pas à travers les réseaux sociaux qu'il transiterait, estiment la plupart des experts à la veille du scrutin. Le recours aux SMS pourrait être une des pistes.

Cécile Rais

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Les moyens de contourner la censure

Certains moyens existent pour contourner les obstacles mis en place par les dirigeants iraniens.

Proxy, VPN: l'internaute peut se domicilier virtuellement à l'étranger en utilisant un serveur proxy, c'est-à-dire un ordinateur intermédiaire installé entre son ordinateur et internet, ou un VPN, un réseau virtuel privé. Gros bémol cependant: ces logiciels peuvent être facilement bloqués en ralentissant le débit des connexions.

Cryptographie: le meilleur moyen actuel pour protéger ses communications sur internet est d'utiliser des codes pour brouiller le contenu des messages.

Equipements informatiques: fin mai, les Etats-Unis ont annoncé la levée partielle de l'embargo sur l'export de smartphones et de logiciels pour faciliter l'accès à internet et aux réseaux sociaux.

"Afin de contribuer à faciliter la libre circulation d'informations en Iran et avec les Iraniens, le département du Trésor en lien avec le département d'Etat (...) autorise l'exportation vers l'Iran de certains services, logiciels et équipements liés aux communications personnelle", a indiqué le département d'Etat américain (article de 01net.com du 31 mai 2013).

Tentatives massives de hacking

Des dizaines de milliers de tentatives de hacking ont été signalées par les responsables des interfaces Google en Iran. Les cibles suggèrent des attaques en lien avec l'élection présidentielle de vendredi.

Google a dénoncé des tentatives de vols de mots de passe des comptes de dizaines de milliers d'Iraniens qui s'apprêtent à voter pour élire leur président.

"Les cibles et le moment choisis suggèrent que ces attaques ont une motivation politique en lien avec l'élection présidentielle iranienne de vendredi", a affirmé le vice-président du géant de l'internet américain Eric Grosse.

"Ces campagnes, qui sont menées depuis l'Iran, ont considérablement augmenté le volume des activités de hameçonnage dans cette région", a-t-il ajouté.