De 3 à 3,20 reals (1,28 à 1,36 franc): c'est l'augmentation du billet de transport public à São Paulo, entérinée le 2 juin dernier. C'est surtout la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et poussé les Brésiliens dans la rue. Et même si le gouverneur est revenu en arrière le 19 juin, les manifestations se poursuivent, preuve que cette cause n'était qu'un prétexte.
DES TRANSPORTS PUBLICS TROP CHERS ET MAL ADAPTES
Avec 6,7% d'augmentation, le prix du billet à São Paulo restait inférieur à l'inflation, estimée à 14% sur la même période. Mais, même à 3 reals, c'est trop pour les Brésiliens pour qui les transports représentent le troisième poste le plus important du budget, selon une étude publiée en 2009.
Par ailleurs, les manifestants de São Paulo dénoncent un réseau totalement archaïque avec seulement quatre lignes de métro pour plus de 11 millions d'habitants, et des lignes de bus à la signalétique peu claire transformant les déplacements en gymkhana. De plus, aucun système d'abonnements n'existe pour l'heure pour les usagers réguliers. Un projet est toutefois en discussion et pourrait voir le jour à la fin de l'année.
UN SALAIRE MINIMUM QUI NE COUVRE QU'UN QUART DES BESOINS VITAUX
Derrière cette protestation contre les transports publics se cache une grogne plus profonde contre l'élévation du coût de la vie et la baisse du pouvoir d'achat.
Avec un salaire minium de 678 reals (288 francs), les Brésiliens ne reçoivent que le quart de ce qu'ils auraient besoin pour vivre. Une étude du Département intersyndical des statistiques et études socio-économiques, publiée le 7 mai 2013, indique en effet qu'un employé aurait besoin de 2873 reals pour faire vivre sa famille en répondant aux besoins de base comme l'alimentation, le transport, la santé, l'éducation, l'habitat et l'hygiène.
DES MILLIARDS POUR DES STADES AU LIEU D'ECOLES ET D'HOPITAUX
Cet écart entre salaire minimum et coût de la vie pèse dans l'esprit des Brésiliens d'autant plus que le pays dépense des milliards pour l'organisation de trois événements sportifs mondiaux en trois ans. La Coupe des Confédérations cette année, la Coupe du Monde de football en 2014 et les jeux Olympiques à Rio en 2016.
Pour ces deux derniers événements d'ampleur mondiale, le Brésil prévoit des investissements pour un total de 24 milliards de dollars, selon les estimations des industriels et du gouvernement. Or, les Brésiliens préféreraient voir ces sommes attribuées à l'augmentation des budgets de la santé et de l'éducation.
L'UTILISATION DES RESEAUX SOCIAUX POUR MENER LA PROTESTATION
A l'instar des récents mouvements de contestation dans le reste du monde, les protestataires utilisent les réseaux sociaux pour s'organiser.
Sur Facebook, la page consacrée à la manifestation du 17 juin a accueilli plus de 280'000 personnes. Elle a été menée par le groupe Passe livre, pour Passage libre, qui réclame depuis de nombreuses années l'étatisation des transports publics.
Sur Twitter, le hashtag #vinagre est utilisé pour évoquer le mouvement (voir ci-contre). Signifiant vinaigre, ce mot renvoie aux masques imbibés de vinaigre que les manifestants portent pour se protéger des gaz lacrymogènes.
UNE REPRESSION JUGEE TROP VIOLENTE DES MANIFESTATIONS
Autre source de contestation, la répression des manifestations par la Police militaire, très puissante au Brésil. Selon les protestataires, la police fait usage d'une violence démesurée contre les manifestants.
Une manifestation a en effet dégénéré à la nuit tombée le 17 juin. Un groupe de quelques dizaines de manifestants violents a pris d'assaut le parlement de l'Etat de Rio. Des scènes de guérilla urbaine ont éclaté: jets de cocktails molotov ou de noix de coco contre les policiers, lesquels ont riposté par des tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc.
(voir les témoignages ci-contre).
DES EVENEMENTS QUI POURRAIENT ETRE REPRIS POLITIQUEMENT
À moins d'un an des prochaines élections présidentielles, certains craignent une récupération politique des événements, comme l'explique une étudiante française qui vit à São Paulo sur son blog. Au centre, deux politiciens; le gouverneur de l’état de São Paulo, Geraldo Alckmin, membre du Parti social-démocrate brésilien et le maire de São Paulo, Fernando Haddad membre du Parti des travailleurs de la présidente Dilma Rousseff.
Or, les manifestations pourraient être manipulées pour s'opposer non plus au prix des transports, mais au gouvernement social-démocrate de l'Etat le plus peuplé et le plus riche du Brésil. Ce qui servirait forcément les desseins du Parti des travailleurs...
A l'inverse, le gouverneur Geraldo Alckmin semble lui aussi réfléchir à plus long terme à sa carrière politique. Pour calmer la rue - et par conséquent des électeurs potentiels - il a décidé le 19 juin d'annuler la hausse du prix du billet, le ramenant à son niveau précédent.
Victorien Kissling