Ce peuple réputé passif et pacifique a soudainement clamé haut et fort son indignation, prenant tout le monde de court - la classe politique, les plus fins observateurs de la société et les manifestants eux-mêmes, tous surpris face à la rapidité et à l’ampleur de la mobilisation. "O Gigante accordou!" (le Géant s’est réveillé!), comme le résume ce slogan, devenu le cri de ralliement du mouvement.
Prix du bus à Rio et Sao Paulo,l'étincelle
A l’origine figure la hausse du prix du bus - une augmentation qui, en réalité, était déjà l’objet de protestations régulières dans plusieurs villes du pays depuis août 2012. Début juin dernier, quand cette hausse est décidée par les autorités de Sao Paulo et Rio, les deux plus grandes villes du pays, les manifestations se font plus nombreuses. Très vite, elles sont violemment réprimées par les forces policières, de façon disproportionnée: gaz lacrymogènes, balles de caoutchouc tirées à bout portant en plein visage, prison pour des dizaines de protestataires. Personne n’y échappe, manifestants pacifiques, journalistes…
Au Brésil, c’est encore la police militaire, héritée de la dictature, qui est en charge de la sécurité publique. Ses méthodes répressives auront l’effet exactement inverse de celui recherché: indignés par cette violence, de nombreux Brésiliens, neutres jusqu’alors, rejoignent les rangs des manifestants.
Le mouvement est lancé
Les revendications deviennent multiples: contre l’indigence des services publics en général - transports, mais aussi santé et éducation - encore précaires et indignes de la 7e puissance mondiale. Contre la corruption qui gangrène le pays. Contre les coûts pharaoniques liés à l’organisation de la Coupe du monde de football, la rénovation des stades notamment, et leurs surfacturations douteuses. Contre le système politique de Brasilia, enfin, confié à des élites coupées des besoins de la population, plus généralement contre les injustices sociales de ce pays déjà parmi les plus inégalitaires au monde.
La révolte d'une nouvelle classe moyenne
Si la hausse de 20 centimes du prix du bus a été l’étincelle, le feu couvait déjà sous les cendres. Et ces manifestations sont devenues le réceptacle de toutes les frustrations accumulées en silence depuis des années. Lancé par les étudiants, le mouvement est rapidement devenu celui de toute une société, plutôt issue de la classe moyenne basse. Une classe devenue majoritaire depuis les années Lula qui y a fait accéder 40 millions de pauvres. Mais c'est une classe qui se sent oubliée, entre les très pauvres aidés par le gouvernement, et les plus riches qui eux, ont les moyens de se payer par exemple éducation ou système de santé privés, de qualité. Le tout dans un contexte économique et social loin du mythe de l’Eldorado brésilien: croissance ralentie, hausse de l’inflation. Des impôts parmi les plus élevés et les plus injustes du monde, près de 40%, avec en contrepartie des services publics défaillants.
Le Brésil est toujours le pays du foot!
Ces mouvements sociaux massifs ne sont donc pas, comme beaucoup l’ont perçu hors des frontières du Brésil, un rejet de la Coupe du Monde en soi, dans le pays du football, malgré les slogans hostiles à la FIFA et les manifestations autour des stades en marge de la Coupe des confédérations (15-30 juin). Les Brésiliens sont près de 70% à souhaiter accueillir cet évènement sportif. Ce qu’ils contestent, ce sont ses effets pervers (surcoûts, expulsions arbitraires, accès aux stades devenu élitaire, ingérence de la FIFA dans les affaires brésiliennes). Comme l’écrit très justement Bruno Patricio dos Santos, professeur d’éducation physique et doctorant en Politiques Sociales et Education, "la réaction face aux coûts publics liés à la Coupe du monde n’est qu’une parcelle des exigences, amples et diverses, des Brésiliens pour l’amélioration de leur qualité de vie. La Coupe du Monde de la FIFA est devenue un grand symbole de la lutte contre les inégalités, l’injustice sociale, et la corruption politique qui dominent le pays.
"Les défis sont grands mais nos rêves le sont plus encore", disait une banderole dans les manifestations. Le Géant s’est réveillé, et il n’est pas près de se rendormir de si tôt, préviennent certains.
Elodie Touchard