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"En Ukraine, on ne pourra plus ignorer les militants de la place Maïdan"

Historien spécialiste de l'Ukraine, Eric Aunoble a suivi attentivement les événements sur la place Maïdan à Kiev. [DR]
Historien spécialiste de l'Ukraine, Eric Aunoble a suivi attentivement les événements sur la place Maïdan à Kiev. - [DR]
Spécialiste de l'Ukraine, Eric Aunoble estime que le nouveau gouvernement, dont la formation a été reportée à jeudi, devra composer avec un fort sentiment de défiance au sein de la population.

Historien à l'Université de Genève, le Français Eric Aunoble est l'un des rares spécialistes de l'Ukraine en Suisse romande. Il livre à RTSinfo son éclairage sur l'avenir politique et économique de ce pays où il se rend régulièrement dans le cadre de ses recherches. Interview.

RTSinfo: Avec quoi devra composer le futur gouvernement ukrainien?

Eric Aunoble: Les nouveaux dirigeants seront confrontés à une situation assez compliquée. Tout d'abord, la défiance des protestataires face aux dirigeants, y compris ceux de l'opposition, est très prononcée. Les militants de la place Maïdan veulent créer un "cercle de confiance populaire" dans le but notamment de contrôler la corruption du gouvernement. Ce sont eux qui ont gagné des points pendant les événements récents et on ne pourra pas les ignorer. Ensuite, le gouvernement subira la pression des forces politiques qui prétendent représenter l'est russophone du pays, et il devra affronter une situation économique inquiétante.

- Le risque de partition est-il réel?

- Ce n'est probablement pas le souhait de la majorité de la population russophone et ce d'autant plus qu'un sentiment de conscience nationale, qui n'existait pas dans les années 1980, a émergé ces dernières années en Ukraine. L'industrie sidérurgique et minière, qui produit à des prix bas, s'est en outre un peu affranchie de la Russie en diversifiant ses marchés, vers la Turquie par exemple. Le risque de partition ne paraît possible qu'en Crimée qui a toujours hébergé les ports de guerre russes, puis soviétiques. Actuellement, la ville de Sébastopol sert à la fois de base militaire pour la Russie et pour l'Ukraine. Elle cristallise donc les tensions et il est probable que Moscou exige des nouvelles autorités ukrainiennes quelques garanties autour de la Mer noire.

- Un rapprochement Union européenne-Ukraine est-il possible?

- L'Union européenne n'a pas la volonté politique d'intégrer l'Ukraine. Elle souhaite plutôt créer une sphère d'influence hors de ses frontières et accéder à un nouveau marché de 46 millions de personnes. L'Ukraine, de son côté, souhaiterait que ses citoyens puissent se déplacer dans l'UE sans visa. Financièrement, on ignore aussi si l'UE peut proposer plus d'argent qu'elle ne l'a déjà fait. Et si elle le fait, à quelles conditions? Les entreprises ukrainiennes n'ont pas encore les moyens de se plier à de nouvelles normes. Et sur le plan social, il ne faut pas oublier que le gouvernement de Ianoukovitch a préféré vider les caisses plutôt qu'effectuer certaines réformes et provoquer la grogne. Trop d'exigences pourraient faire le lit de l'extrême droite nationaliste qui est déjà la gagnante des derniers événements.

Propos recueillis par Juliette Galeazzi

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