Après les sanctions adoptées lundi par l'Union européenne et les Etats-Unis contre des responsables russes et ukrainiens pro-russes, Nicolas Hayoz, professeur à l'Université de Fribourg, apporte son éclairage.
RTSinfo: Quels effets auront les sanctions adoptées par l'Union européenne et les Etats-Unis?
Nicolas Hayoz: Le gel des avoirs de certaines personnalités russes et ukrainiennes ne va pas avoir beaucoup d'effet. Beaucoup plus efficace en revanche, serait le blocage des comptes d'entreprises russes en Europe. Auquel cas, il faudrait s'attendre à une riposte de Moscou qui pourrait par exemple expulser les sociétés occidentales de son territoire. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Quelles conséquences une telle riposte entraînerait-elle pour l'Europe?
Le blocage de certaines activités économiques, dont le pétrole et le gaz. Si cela devait être le cas, l'Union européenne, et surtout l'Allemagne, se verraient obligées d'assouplir les mesures.
La Russie tient donc le couteau par le manche?
Il faut dire que la Russie a beaucoup d'atouts: en matière de gaz, elle peut se retourner vers la Chine par exemple. Ceci dit, certains observateurs soutiennent que les sanctions occidentales pourraient affaiblir l'élite russe et, ainsi, amener au déclin du président Vladimir Poutine.
La Suisse a-t-elle intérêt à sanctionner la Russie?
A mon sens, la Suisse pourrait adopter un langage plus ferme, mais elle préférera certainement se réfugier derrière la notion de neutralité. La Suisse profite en effet largement du marché russe, notamment pour l'exportation de machines. Cependant, l'Europe supporterait mal que la Suisse fasse cavalier seul, surtout après l'acceptation de l'initiative contre l'immigration de masse. La Confédération devra donc certainement suivre le système de sanctions de l'UE.
Quel avenir peut espérer la Crimée?
Elle va devenir une entité administrative sous le joug de la Russie. D'un point du économique, elle ne sera pas gagnante.
Quelles sont les issues possibles?
Vladimir Poutine a toujours vu la chute de l'Union soviétique comme une catastrophe et l'Ukraine fait partie du rêve d'une Russie toute puissante. Moscou devrait garder un pied en Crimée et les Occidentaux n'y pourront pas grand chose. Par contre, la situation pourrait dégénérer si la Russie continue sur sa lancée et tente de récupérer le reste de l'Ukraine.
Propos recueillis par Mathieu Henderson
"La Suisse doit sanctionner la Russie"
"Le seul langage que comprendra la Russie, sera la force". Contacté par la RTS, Andrej Lushnycky, président de la Société des Ukrainens en Suisse et collaborateur à l'Université de Fribourg, ne mâche pas ses mots. Selon lui, le temps du dialogue de la communauté internationale avec la Russie est passé: "Il faut agir avec force en interdisant par exemple les oligarques russes de séjour en Europe ou en gelant leurs avoirs dans les banques", affirme-t-il.
Des mesures que doit suivre la Suisse: "Elle doit s'aligner en adoptant les mêmes sanctions", estime Andrej Lushnycky. Et d'ajouter: "Didier Burkhalter devrait aussi annuler son voyage en Russie (prévu en avril prochain, ndlr.) pour célébrer les 200 ans de relations entre les deux pays". MH
"Poutine a su mettre de l'ordre"
"Pour les Russes qui ont connu les années de misère après la chute du Mur, Vladimir Poutine est l'homme qui a su remettre de l'ordre et redonner sa fierté à la Russie". L'écrivain russophile et slaviste de formation, Hélène Richard-Favre estime que l'Occident a un regard biaisé sur les agissements de Moscou. "La couverture médiatique est souvent déformée. On dit par exemple que le président ukrainien destitué Ianoukovitch a ordonné de tirer sur son peuple mais on n'en sait rien".
Selon Hélène Richard-Favre, l'Union européenne et les Etats-Unis ont un rôle déstabilisateur lorsqu'ils soutiennent les révolutions. "Je trouve incroyable de la part de l'UE, qui n'a aucune politique commune, d'adopter un système de sanctions". MH