RTSinfo : Pourquoi les étudiants hong-kongais manifestent-ils?
Antoine Kernen: Les manifestations sont une réaction directe au refus de Pékin d'instaurer, à Hong Kong, l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif de la région, avec liberté de candidature (voir encadré). En proposant un "suffrage universel limité" à trois candidats, le gouvernement chinois refuse d'accorder une véritable démocratie à Hong Kong.
- L'île de Hong Kong a-t-elle déjà connu des mouvements sociaux de même ampleur?
- Ces manifestations n'ont pas de précédent comparable dans le passé récent; on assiste à un événement assez exceptionnel. Toutefois, bien qu'il y ait assez peu d'engouement pour la politique à Hong Kong, la région a déjà connu des sursauts importants auxquels on ne s'attendait pas. Des milliers de Hong-Kongais s'étaient ainsi réunis en 1989 pour apporter leur soutien aux manifestants prodémocratie chinois.
- Comment expliquer le durcissement soudain d'un mouvement jusqu'alors plutôt discipliné?
- Les étudiants hong-kongais sont face à un mur. Le président chinois Xi Jinping l'a bien signifié: le pouvoir n'envisage aucune reculade, en conséquence il réprime par tous les moyens sans même chercher à négocier.
- La position intransigeante de Pékin est-elle tenable?
- La Chine dispose de moyens de répression qui peuvent être persuasifs et considérerait toute reculade comme une perte de face, mais tout dépendra de l'évolution des événements. Pour l'instant, le nombre de protestataires est relativement faible et le mouvement reste surtout circonscrit aux jeunes. Si les manifestations viennent à mobiliser davantage et que la société civile s'engage, Pékin devra peut-être reconsidérer sa position.
- Quel tort ce mouvement de contestation peut-il faire à la Chine?
- A l'interne, il ne devrait pas y avoir d'impact réel car le travail de désinformation joue son rôle. D'une manière générale, les Chinois parlent d'ailleurs assez peu de Hong Kong, un territoire presque considéré comme l'étranger. En revanche, ces événements révèlent le véritable visage, dur, du gouvernement chinois actuel et, à mon sens, son manque d'habileté politique. Il aurait pu négocier autrement, voire accepter le suffrage universel à Hong Kong, sans grande conséquence. Il a agi dans la précipitation, par peur de la contagion.
- Que nous dit ce conflit des relations entre Hong Kong et sa mère-patrie?
- Ces manifestations pourraient marquer un tournant dans leurs rapports. Depuis 1997, Hong Kong et la Chine étaient plutôt dans une relation de "bon voisinage", Pékin exerçait son contrôle de façon discrète. C'est la première fois depuis la rétrocession à la Chine que les Hong-Kongais sont confrontés concrètement à son autoritarisme. Ces manifestations explicitent le rapport de pouvoir entre Hong Kong et la Chine; cela pourrait marquer les esprits.
Propos recueillis par Pauline Turuban
Hong Kong, un statut particulier
- En 1984, la Première ministre britannique Margaret Thatcher et le numéro un chinois Deng Xiaoping décident du retour de Hong Kong, alors colonie britannique, dans le giron de la Chine.
- La rétrocession devient effective en 1997, après 155 ans de colonialisme britannique. Le territoire jouit d’une autonomie de gestion assurée pour 50 ans ("Un pays, deux systèmes") qui lui garantit aussi des libertés plus étendues qu'en Chine (presse, syndicats, manifestations, etc.).
- En revanche, les Hongkongais n’élisent par leurs dirigeants. Ils élisent une partie du Conseil législatif, l'autre partie est désignée par des collèges professionnels. Le Chef de l’Exécutif est quant à lui désigné par un collège électoral contrôlé par Pékin.
La liberté électorale au coeur du mouvement
Actuellement, le chef de l'exécutif hongkongais est élu par un comité électoral pro-Pékin. La Chine avait fait miroiter l'instauration du suffrage universel d'ici 2017.
Or, le 31 août dernier, le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire chinoise a décidé que les Hongkongais ne pourraient choisir le chef de l'exécutif que parmi deux ou trois candidats pré-sélectionnés.
Une restriction inacceptable pour les manifestants, qui veulent désormais convaincre leurs députés de ne pas accepter ce nouveau mode électoral. Lors du vote au Conseil législatif, prévu au printemps 2015, le texte devrait recueillir les deux tiers des voix.
En juin déjà, près de 800'000 personnes avaient participé à un référendum non officiel et réclamé à une large majorité l'extension de leurs droits démocratiques.