Parcours personnel, disparition de l’URSS, crise ukrainienne, l'ancien dirigeant de l'Union soviétique et prix Nobel de la paix Mikhaïl Gorbatchev, évoque pour la RTS tous ces sujets 25 ans après la fin de la Guerre froide alors qu'il sera présent à Berlin dimanche pour les 25 ans de la chute du Mur.
- Avec la crise ukrainienne, beaucoup de gens ont de nouveau peur de la Russie...
Mikhaïl Gorbatchev: Ce n’est pas fondé. La Guerre froide est finie. Eux, ils croient qu’ils ont gagné la Guerre froide. Il n’y a pas eu de vainqueur, tout le monde a gagné. Mais aujourd’hui, ils veulent commencer une nouvelle course aux armements.
- "Eux", vous voulez dire l’OTAN?
- L’OTAN est un instrument qui est utilisé.
- Est-ce que l’OTAN a trahi, à vos yeux, en voulant s’étendre du côté de la Russie?
- L’OTAN n’est pas nécessaire! L’OTAN n’est plus nécessaire! Le Pacte de Varsovie, lui, s’est dissout. Mais l’OTAN veut prouver qu’elle peut sauver le monde. Elle veut soi-disant sauver la paix. Mais elle veut tout simplement étendre un contrôle absolu sur tous les pays.
- Voit-on une nouvelle Guerre froide?
- On essaie de nous attirer dans une nouvelle Guerre froide. On voit de nouveaux murs. En Ukraine c’est un fossé énorme qu’ils veulent creuser. Le danger est toujours là. Il faut unir les gens, pas les séparer.
- Votre souvenir de la réunification?
- Nos amis en Europe essayaient de me convaincre de faire en sorte que l’Allemagne ne se réunisse pas.
François Mitterrand était un ami. Je le respectais beaucoup. Mais il disait: "J’aime tellement l’Allemagne que je veux leur en laisser deux!" Margaret Thatcher ne voulait pas non plus de la réunification.
Même s’ils critiquaient l’idée de la réunification de l’Allemagne, lorsque le moment est venu, ils ont tout signé. Cela veut dire qu’ils étaient des politiciens responsables.
- Vous avez changé le cours de l’histoire. Vous avez choisi la voie la moins violente. Mais avant cela, vous avez été vous-même stalinien...
- Je suis entré au Parti communiste en étant encore lycéen. J’étais très actif. J’ai écrit une dissertation pour les examens du bac. J’ai écrit: "Staline est notre gloire, notre inspiration." Et j’y croyais! C’est seulement plus tard que j’ai appris tout ce qu’il a fait et que je suis devenu, finalement, l’opposé du stalinisme.
- Il y a ce moment incroyable où vous êtes dans la foule immense pour voir Staline mort en 1953.
- Je voulais tellement voir ça! C’était presque impossible d’arriver jusqu’au cercueil. J’ai marché toute une nuit et une moitié de la journée. Je l’ai vu. Je me rappelle son nez d’aigle et son air austère. Nous avons pris conscience de ce qu’était le stalinisme seulement après sa mort.
Sur le moment, nous étions émus. On se disait: qu’est-ce qui va nous arriver? Cette personnalité nous avait hypnotisés.
- Les vieux dirigeants du parti, les Brejnev, les Gromyko, quand ils vous ont coopté, ils n’ont pas vu que vous étiez différent?
- Ils le voyaient. Mais étais-je si différent? J’étais pour les Soviets, pour l’Union soviétique. Ce sont mes valeurs sacrées. Mais c’est évident qu’il fallait changer quelque chose. Tout change dans l’histoire.
Propos recueillis par Darius Rochebin