Le Nigeria a connu ces derniers jours une vague d'attaques perpétrées par le groupe terroriste islamiste Boko Haram décrite comme la plus meurtrière de ces cinq dernières années. A Baga, des centaines, voire des milliers de morts, seraient à déplorer selon Amnesty International.
La lutte contre la secte islamiste, bien implantée dans trois Etats du nord du Nigeria, est l'un des principaux enjeux de la campagne de la présidentielle qui doit se tenir le 14 février, analysait jeudi le chercheur à l'Institut français de recherche pour le développement et spécialiste du Nigeria Marc-Antoine Pérouse de Montclos, dans le Journal du matin de la RTS.
Ce dernier prédit une possible situation de blocage du fait que des milliers d'électeurs ne pourront pas se rendre aux urnes après avoir été déplacés.
Proclamation des résultats impossible?
"Selon la loi électorale, pour être élu, le président doit obtenir 25% des voix dans deux tiers des 36 Etats de la fédération nigériane. Mais les trois Etats du nord - le Borno, le Yobe, et l'Adamawa - terreaux de Boko Haram, sont délaissés par le gouvernement. La population de ces territoires sera empêchée d'aller voter en février et c'est par conséquent tout à fait possible qu'on ne puisse même pas proclamer de résultats. On pourrait voir une situation de blocage total survenir", commentait le spécialiste géopolitique.
La campagne pour la présidentielle voit s'affronter le président sortant Goodluck Jonathan, 57 ans, et l'ancien dictateur militaire Muhammadu Buhari, 72 ans, candidat pour la 4e fois. Corruption, division confessionnelle, menaces sécuritaires et chute des prix du pétrole planent sur l'élection du mois prochain.
Corruption dans l'armée
Le président sortant, de confession chrétienne, favoriserait largement l'Etat dont il est originaire et agite également la fibre confessionnelle, en appelant les chrétiens à se rassembler autour de lui. Il peine à trouver une réponse à la propagation des attaques de Boko Haram. "Le président sortant contrôle très mal l'état-major, qui lui-même contrôle très mal sa base", explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
La corruption dans l'armée est aussi l'un des principaux problèmes dans la lutte. Les soldats, qui souvent connaissent déjà mal le terrain sur lequel ils doivent intervenir - provenant d'autres états du pays, n'ont pas le matériel militaire adéquat et leur solde n'est pas toujours versée, alors que le budget de l'armée atteint presque 6 milliards de dollars, a poursuivi le chercheur. Lorsque les soldats sont attaqués, ils ne sont donc pas enclins à se battre très longtemps.
Force commune internationale
Marc-Antoine Pérouse de Montclos répond aussi aux craintes d'une internationalisation du groupe, en expliquant que même si la réponse militaire ne fonctionne pas, la solution n'est certainement pas d'aller chercher des milices violentes ailleurs.
La tentative de monter un force commune avec les pays voisins du Nigeria pour déloger Boko Haram de ses bases arrières provoque en réalité une contre-attaque du groupe et se révèle donc en partie contre-productive. Mais Boko Haram n'est pas en train de s'internationaliser. Il tente seulement de préserver ses bases arrières au Cameroun ou au Tchad voisin, conclut l'invité.
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Des images satellites montrent le résultat des attaques de Boko Haram
#Nigeria: Satellite images show horrific scale of Boko Haram attack. http://t.co/kjB6urMca0 #BagaKillings pic.twitter.com/QW3BnQwMXI
— AmnestyInternational (@amnesty) 15 Janvier 2015
Chute des prix du pétrole
Le Nigeria est devenu l'année dernière la première économie africaine, grâce à un changement du mode de calcul du PIB, mais plus de la moitié des 178 millions d'habitants vivent toujours dans la pauvreté, sans accès aux infrastructures de base.
Les revenus du pétrole, principale ressource du pays, sont siphonnés par l'élite dirigeante corrompue.
De plus, les recettes de l'Etat ont fondu avec la chute historique des cours du pétrole, contraignant le gouvernement à prendre des mesures d'austérité et dévaluer la monnaie, ce qui plombe encore le bilan du président Goodluck Jonathan.
Une loi de réforme dans l'industrie pétrolière, qui n'a pas abouti, va également freiner énormément, voire anéantir, toute volonté des investisseurs étrangers, affirme aussi Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
Le Nigeria va donc voir ses revenus liés aux hydrocarbures chuter drastiquement, ce qui va bientôt poser d'immenses problèmes.
Boko Haram, secte ou groupe terroriste?
Le chercheur et spécialiste du Nigeria Marc-Antoine Pérouse de Montclos a aussi expliqué jeudi à la RTS comment Boko Haram avait évolué d'un secte vers un groupe terroriste très violent.
"Deux événements marquent la dérive criminelle de Boko Haram. Premièrement, en 2009, l'exécution de son gourou spirituel Mohamed Yusuf par la police nigériane a conduit aux premiers attentats suicide. Deuxièmement, l'état d'urgence a été imposé en mai 2013 dans trois états du nord du pays et des milices para-gouvernementales ont été instaurées".
Lorsque les villageois ont été incités à rallier ces milices, Boko Haram s'est mobilisé pour dissuader les civils et a commencé à raser des villages et à perpétrer des massacres de masse de civils.
Au départ pourtant, les civils trouvaient parfois refuge auprès de Boko Haram alors que l'armée commettait les pires exactions. C'est en 2009 que la secte est réellement devenue un groupe terroriste.
L'insurrection islamiste a fait plus de 13'000 morts et 1,5 million de déplacés depuis son début en 2009.