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"Il est de notre responsabilité de réparer les erreurs" commises en Libye

Hasni Abidi, hiver 2012, dans un hôtel genevois. [Antoine Droux]
Hasni Abidi, directeur du centre d’études CERMAM / L'invité de la rédaction / 21 min. / le 20 février 2015
Une intervention militaire en Libye est envisageable, mais avec un consensus inter-Libyens et une aide à la construction d'institutions à la clé, a estimé vendredi à la RTS le politologue Hasni Abidi.

"Il est de notre responsabilité de réparer les erreurs de l'intervention militaire en Libye en 2011, et pas d'ajouter une autre intervention qui ne réglera pas les problèmes de fonds", a expliqué Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM), interviewé au Journal du Matin à l'occasion des quatre ans de la révolution libyenne.

La coalition, qui regroupe 26 Etats, a dépensé 2 milliards de dollars en six mois pour lutter contre le groupe Etat islamique (EI), ce qui ne lui a permis de reconquérir que 1% du territoire. Une pareille mesure en Libye "n'a aucune chance d'aboutir" sans un consensus, a renchéri le chercheur. L'EI s'alimente de l'intérieur, selon lui.

En outre, il est contradictoire de demander une intervention actuellement, "alors qu'il y a une dynamique de négociations", a ajouté le politologue, en mentionnant les pourparlers qui ont été lancés à Genève récemment.

Ne pas lever l'embargo

Par ailleurs, si l'ONU accepte, comme le demande la Libye, de lever l'embargo sur les armes décrété en 2011, cela serait équivalent à "souffler sur des braises", a estimé le professeur.

La Libye est un dépôt d'armes pour toute l'Afrique, a expliqué Hasni Abidi. Le régime de Kadhafi a importé une somme gigantesque d'armes et la coalition internationale en a aussi livrées.

Mieux contrôler les frontières

La Libye est aussi une plate-forme pour l'émigration. Selon le chercheur, il y a bien sûr un risque que des combattants de Daech se trouvent à bord des embarcations.

La communauté internationale doit mieux surveiller ces filières de migration, ainsi que mieux contrôler les frontières, en particulier en Méditerranée, a encore clamé Hasni Abidi.

>> Reportage sur l'île de Lampedusa où arrivent nombre de Libyens :

Les migrants ne cessent d'affluer à Lampedusa. [EPA/Keystone - Pasquale Clauio Montana Lampo]EPA/Keystone - Pasquale Clauio Montana Lampo
L'Italie est de nouveau le théâtre d'importants débarquements de migrants / Le Journal du matin / 3 min. / le 20 février 2015

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Un pays morcelé

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, la Libye n'est pas dirigée par un pouvoir unique. Les deux acteurs principaux sont les autorités de Tobrouk (reconnues par la communauté internationale) et les autorités de Tripoli (proches des Frères musulmans). Tous deux ont un gouvernement, un parlement et un état-major. "Je crois qu'on est entré de plein pied dans une guerre civile", a confié Hasni Abidi.

Par ailleurs, l'Etat islamique, qui trouve sa souche dans les mouvements djihadistes présents depuis la fin des années 1970, contrôlerait désormais deux villes (Derna et Syrte). L'Egypte, qui a entamé des raids aériens après des décapitations de Coptes, tente actuellement d'obtenir un soutien international.

Enfin, des dizaines de milices formées d'anciens insurgés ont pris possession de diverses zones du territoire.

Aider à construire des institutions solides

"Il fallait aider les Libyens à renverser le régime de Kadhafi en 2011, mais il fallait aussi rester, ou du moins aider le peuple à construire un vivre ensemble", a estimé Hasni Abidi.

Mouammar Kadhafi n'avait pas fabriqué d'Etat. Le pays était tenu par le régime et les milices de sécurité. Depuis la chute du guide suprême, le pays est ainsi "à découvert", a expliqué le politologue. En ce sens, il aurait fallu aider les Libyens à construire des institutions capables de sécuriser le pays et de gérer l'action politique.