Pour Ahmet Insel, invité du Journal du matin, "un parti qui gouverne depuis treize ans et qui espère obtenir plus de 40% des voix devrait préparer une élection paisible. Mais cela ne suffit pas à Recep Tayyip Erdogan, qui a affirmé vouloir gouverner le pays comme le directeur d'une entreprise. Il ne veut pas de contre-pouvoir".
Le sociologue a rappelé que le président cherchait à gagner la majorité des deux tiers au Parlement, "pour pouvoir modifier la Constitution et mettre en place un vrai régime présidentiel. Or, même dans son parti il y a des résistances parce qu'il y a une dérive autoritaire personnelle. Le problème, c’est qu'Erdogan, auparavant figure de stabilité, est devenu facteur d’instabilité".
Le rêve démocratique s'épuise
Arrivés au pouvoir en 2002, Erdogan et l'AKP faisaient figure de changement, de normalisation et de rapprochement avec l'Union européenne. "Il y a eu des vagues de réformes successives, dans le bon sens, en matière de droits de l’homme, de droit pénal, de code de la famille", a rappelé Ahmet Insel.
Depuis 2007 pourtant, le rêve démocratique turc s’épuise progressivement. Selon le chercheur, la principale raison réside dans la fermeture de la porte européenne: "Quand Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir, il a affirmé unilatéralement que la Turquie n’avait pas sa place dans l’Union européenne et a bloqué le processus de rapprochement. Du côté turc, on s'est aussi rendu compte qu'une adhésion à l'Union signifiait un transfert de souveraineté, des contraintes pour l’administration, une ouverture à la concurrence".
Statut d'homme providentiel
Pourquoi le peuple a-t-il maintenu au pouvoir Recep Tayyip Erdogan malgré une dérive autoritaire de plus en plus marquée? "Parce qu'il continue à épuiser son statut d’homme providentiel qui a amené le pays à la stabilité économique et politique, après des années 80 et 90 difficiles".
A trois jours des élections législatives, Ahmet Insel imagine que la Turquie changera passablement durant les cinq prochaines années. "Même si l'AKP reste largement majoritaire, nous allons rentrer dans la période post-Erdogan. Si l'on parvient à résoudre les failles religieuses, ethniques et les affrontements des modes de vie, une sortie d'autoritarisme par le bas est possible".
kg