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Rencontre avec James Meredith, 1er Noir universitaire au Mississippi en 62

James Meredith est aujourd'hui âgé de 82 ans. [RTSinfo - Philippe Revaz]
Rencontre avec James Meredith, 1er étudiant Noir au Mississippi en 1962 / Tout un monde / 10 min. / le 22 octobre 2015
Premier Noir américain à entrer à l’Université du Mississippi en 1962, James Meredith a accordé une interview à la RTS. Un entretien où il fait part de sa crainte d'un embrasement du conflit racial dans son pays.

L'homme est entré dans la légende un jour d'automne en 1962, encadré par les forces fédérales envoyées par John et Robert Kennedy. Contre le gouverneur de l'époque, contre les étudiants blancs... alors que les émeutes ont fait deux morts à Oxford, Mississippi.

Personnalité incandescente, farouchement indépendante, aux accents de prophète de l'Ancien Testament, James Meredith est aujourd'hui âgé de 82 ans, et vit toujours dans cet Etat.

En 1962, James Meredith est escorté par la police militaire pour gagner l'université du Mississippi. [AP/Keystone]
En 1962, James Meredith est escorté par la police militaire pour gagner l'université du Mississippi. [AP/Keystone]

A sa rencontre, dans le parc d'une bibliothèque de quartier de Jackson, James Meredith affiche toujours ce regard incroyablement fier et défiant qu'il arborait alors qu'il avançait, il y a plus de 50 ans, dans la foule hostile du campus de ol'miss.

Mais il dément avoir fait preuve de courage: "Pour qu'il y ait du courage, il faut qu'il y ait de la peur", explique-t-il. "Ne comprenez-vous pas à quel point c’est insultant pour moi? Suggérer que James Meredith devrait avoir peur de quelques hommes blancs ignorants? Si vous observez les images de mon entrée dans l'Université: dans l'autre camp, tout le monde tremblait comme une feuille. Vous savez pourquoi ils tremblaient? Parce que c'était mon plan. Vous comprenez ça?"

Blessé par balle en 1966

Pas rancunier, il porte une casquette du club de football américain de l'université. Il y a même sa statue désormais, mais il déteste les hommages. C'est un homme seul. Et le mouvement pour les droits civiques n'est pour lui qu'une supercherie, "une insulte à la citoyenneté, parce qu'ils ont été établis dans le but spécifique de faire des noirs des citoyens de seconde classe."

"Le concept de droits civiques était simplement d'aider les noirs à obtenir 3 ou 4 de ces milliers de droits civiques, comme le droit de vote ou le droit d'utiliser les transports publics", poursuit-il. "Il y avait 4 droits principaux... Nous allons vous aider à obtenir ces 4 droits si vous reconnaissez que vous, les noirs, êtes inférieurs et que vous n’avez pas les autres droits qui vont avec la citoyenneté, et que seuls les blancs possèdent. Tout le monde, dans les media, a fait de son mieux pour m’effacer du mouvement des droits civiques. Ils croyaient me blesser, mais ils me faisaient la plus grande faveur imaginable... Mon but principal était de détruire la suprématie blanche et toutes ses manifestations."

Et cette lutte, James Meredith l'a payée très cher. En 1966, il se lance dans une marche contre la peur depuis le Tennessee. Mais un homme blanc ouvre le feu sur lui et l'atteint de plusieurs balles. Il s'en sort vivant, tandis que Martin Luther King et des milliers de militants prennent le relais de la marche dans les semaines qui suivent.

Obama et JFK ne trouvent pas grâce à ses yeux

Avec son franc parler James Meredith déclare qu'il n'a rien gagné. Il était d'abord un citoyen du Mississippi, point! Ces droits étaient un dû. Et avec sa fierté implacable, il refuse la position victimaire de la lutte pour l'émancipation, tout comme il écarte l'idée que de gros progrès ont été accomplis depuis les années 60: "Absolument pas! Les blancs nous bottent toujours les fesses! (...) La ségrégation est juste un autre nom pour l'esclavage (...) Il est fondamental de renverser la suprématie blanche dans toutes ses manifestations. Ma mission désormais est de convaincre les blancs que ce serait une bonne chose, et de les faire joindre leurs forces avec moi."

Le discours est radical, mais il fait écho à l'embrasement de la question raciale aux Etats-Unis: les violences policières et le mouvement "Black Lives Matter". Sous la présidence d'Obama - qui devait être post-raciale -  les tensions culminent. Le président suscite la haine irrationnelle des racistes tandis que les noirs le vivent comme une nouvelle insulte.

Pour James Meredith, ce premier président noir n'est d'ailleurs qu'un président prétexte: "Le président Obama est le 44ème président. Il a été élu par les mêmes personnes qui ont élu les 43 premiers présidents, et pour exactement les mêmes raisons: le problème racial entre blancs et noirs. Je vous garantis que je ne rencontrerai jamais Barack Obama."

John Kennedy ne trouve pas non plus grâce à ses yeux. JFK avait pourtant envoyé l’armée pour le protéger, contre le gouverneur de l’époque… Mais il ne lui accorde aucun crédit. Au contraire, James Meredith affirme qu'il avait peur du clan Kennedy, parce qu'ils recherchaient une réélection et qu'il pouvait mettre en danger leurs plans.

Toujours très en colère

James Meredith est l'enfant d'une terre de violence, le Mississippi... une longue histoire sanglante, et qu'il a vécue dans sa chair. Pour lui, rien d'étonnant dans cette corde qu’un ancien étudiant a passé autour du cou de sa statue sur le campus de Ole Miss, l’université du Mississippi. Rien d'étonnant dans la tuerie de Charleston par ce jeune extrémiste. Rien d'étonnant non plus dans les violences policières: "Ne comprenez-vous pas ma pire crainte? C’est un conflit racial, comme celui de ce gamin de Charleston essayait de provoquer. Un conflit racial, comme en Europe à l'époque, quand un groupe ethnique tente de tuer l'autre groupe! C’est ma pire crainte en Amérique."

Le vieil homme m'a serré la main et est reparti seul vers sa voiture, dans ce quartier de Jackson, Mississippi. Et puis juste avant que je démarre à mon tour, une jeune femme est accourue: une bibliothécaire noire, ancienne étudiante de la même université du Mississippi, qui m'a demandé où l'interview serait diffusée. Je lui ai fait remarquer que Meredith est toujours très en colère. Elle m'a répondu: "C'est normal. Mes grand parents aussi, ils reviennent de très loin ici."

C'est  vrai que James Meredith a gagné le droit d'être en colère; comme un grand-père de cette lutte. Ou plutôt  - on se permettra de le dire malgré lui - un héros.

Philippe Revaz/jzim

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Symbole écorné, la statue de James Meredith a été vandalisée il y a quelques mois. Le coupable - qui avait passé un corde autour de son cou - a écopé de 6 mois de prison. Et comme si le destin du Mississippi était de rester au coeur du débat racial, l'Etat se déchire actuellement sur le sort de son drapeau, où figure le symbole confédéré, jugé raciste.