Des élections capitales pour ce pays ravagé par 50 ans de dictature
Introduction
Après plus de 50 ans d'une dictature militaire parmi les plus dures du monde, la Birmanie s'apprête à vivre ses premières élections législatives "libres" depuis 1990. Plus de 90 formations politiques sont inscrites sur les listes, mais c'est le parti d'Aung San Suu Kyi, figure du combat pour la démocratie, qui est donné grand gagnant.
La Birmanie réussira-t-elle ce test démocratique capital pour son avenir et sortira-t-elle de son isolement sur le plan international? Des doutes existent, malgré les observateurs internationaux prévus sur place et la bonne volonté affichée par le gouvernement en place.
D'autant que la Constitution prévoit que 25% des sièges du futur Parlement soient d'ores et déjà réservés aux militaires...
Afin de mieux comprendre les enjeux déterminants de ces élections du 8 novembre, ce long format vous propose:
■ Un bref historique, pour comprendre plusieurs décennies de dictature militaire.
■ Un portrait de ce pays, pour mieux appréhender la complexité, notamment ethnique, de la Birmanie.
■ Une présentation des enjeux de ces élections.
■ Le reportage de notre envoyé spécial Raphaël Grand en Birmanie, qui a pris le pouls de ce pays en pleine mutation.
■ Hausse des investissements étrangers et du tourisme... Le pays sur la voie du libéralisme économique.
Les grandes dates qui ont marqué la Birmanie
AFP
Pour en savoir plus...
Plongez dans l'histoire mouvementée de la Birmanie grâce à la série d'Histoire Vivante: "Retour en Birmanie".
Dont voici le premier épisode:
Portrait de la Birmanie
ROMEO GACAD - ROMEO GACAD
Population: 51,4 millions selon un recensement contesté de 2014.
Religions: 89% des Birmans sont bouddhistes, 4% sont chrétiens et 4% sont musulmans.
Majorité ethnique: les Bama, qui forment 69% de la population et vivent dans les grandes plaines du pays. L'élite des Bama contrôle l'armée et le Parlement.
Minorités ethniques: 30% de la population, répartis en 135 groupes.
Parmi ces groupes: Shan (8,5%), Karen (6,2%), Arakanais (4,5%), Môn (2,4%), Chin (2,2%), Kachin (1,4%), Kayah (0,4%)... Ces minorités vivent principalement dans les zones montagneuses.
En plus, l'ethnie des Rohingya, qui compte un million de personnes, vit dans la région Rakhine. Il s'agit de musulmans sunnites particulièrement persécutés par le régime.
>> Carte de la distribution ethnique en Birmanie. :
Nom officiel: Myanmar (anciennement Birmanie), nom changé en 1989 par le régime militaire.
Régime: gouvernement civil depuis 2011. Mais le gouvernement est largement composé d’anciens militaires issus de la junte.
Président: Thein Sein, issu du parti au pouvoir.
Capitale: Naypyidaw depuis 2007. Auparavant, la capitale était Rangoun.
PIB: 62,8 milliards de dollars en 2014.
PIB par habitant: 1200 dollars (chiffres 2014).
Croissance démographique: 1,07% (2012).
Espérance de vie: 65 ans (Banque mondiale, 2011).
Dans la société birmane:
500'000 moines bouddhistes.
500'000 soldats.
Les enjeux de ces élections
LYNN BO BO - LYNN BO BO
Des élections "libres"
Quelque 32 millions de Birmans sont appelés aux urnes dimanche 8 novembre pour renouveler le Parlement lors de ces législatives, considérées comme les premières élections "libres" du pays.
Dans les faits, les citoyens n'éliront que 75% des représentant siégeant dans les deux Chambres du Parlement, un quart des fauteuils étant réservés aux militaires, comme le prévoit un article de la Constitution birmane. "Un vol des voix des électeurs", selon certains.
L'état du Parlement actuel
Pour la première fois, la Birmanie a invité des observateurs internationaux pour surveiller le déroulement des élections. Il s'agira d'observateurs de l'Union européenne et du Centre Carter, basé aux Etats-Unis.
L'actuel Parlement est issu d'élections contestables mais n'est plus directement soumis à la junte. Le parti majoritaire, l'USDP, est l'héritier de l'ancien régime et regroupe de nombreux anciens généraux.
Après avoir boycotté les élections de 2011, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a brillamment remporté des élections partielles en 2012. Aung San Suu Kyi était alors entrée au Parlement.
Une campagne dans les montagnes
Cette fois-ci, la LND s'est lancée dans la bataille et est donnée largement gagnante. Pour preuve de sa popularité, le parti avait brillamment remporté les élections organisées par la junte militaire en 1990, un résultat ensuite balayé par le régime.
De son côté, Aung San Suu Kyi est candidate dans la circonscription de Kawmhu (un quartier de Rangoun). Mais elle a également fait campagne dans les montagnes birmanes, cherchant à convaincre les minorités ethniques du pays de voter pour son parti.
Mais la LND est mal vue par ces groupes, qui voient Aung San Suu Kyi plus comme une Bama (l'ethnie dominante) que comme une démocrate. Ils n'ont pas le sentiment qu'elle défend les minorités du pays, qui représentent 30% de la population.
La question du président
La future Assemblée devra élire quelques mois après les législatives un président pour la Birmanie. Mais un article de la Constitution interdit à Aung San Suu Kyi de briguer le poste en raison de son mariage avec un étranger. Si son parti remportait les élections, il pourrait envisager de faire changer cet article.
Mais un autre article prévoit que tout changement de la Constitution doit être accepté à plus de 75% des voix. Avec 25% de sièges réservés, les militaires disposent de fait du pouvoir de barrer la route à la Dame de Rangoun.
L'actuel président du Parlement, Shwe Mann, était quant à lui le numéro 3 du régime précédent. Il est considéré comme l'homme le plus puissant du pays et est sur les rangs pour devenir président. Il prône une "démocratie disciplinée".
Reportage en Birmanie
Raphaël Grand
Partie 1: De timides espoirs
"Là, j’ai des T-shirts, des bracelets, des autocollants et un calendrier avec la photo d'Aung San Suu Kyi. Notre leader, notre grand leader!" Dans les rues de Rangoun, les petits commerces regorgent d’objets à l’effigie du prix Nobel de la paix.
Notre envoyé spécial en Birmanie Raphaël Grand est allé à la rencontre des citoyens birmans. Ceux qui militent pour la démocratie, ceux qui votent pour la première fois, ceux qui espèrent un changement mais n'osent y croire...
Partie 2: Une vitrine pour le régime
Les élections doivent être une vitrine offerte à l'Occident et au peuple birman pour le parti au pouvoir. Rencontre sous haute surveillance avec le candidat Tan Aung Kyi.
Un pays en pleine mutation
HEIN HTET - HEIN HTET
L'économie birmane est faite de paradoxes.
■ Au moment de son indépendance, la Birmanie était le grenier à riz de l'Asie. Après 30 ans de dictature, le pays en est réduit à importer du riz.
■ Le pays est très riche en ressources naturelles: pétrole, minéraux (or, jade, rubis,...), richesses agricoles. Mais les nationalisations généralisées et la mauvaise gouvernance ont dilapidé ces richesses.
■ Les réseaux de distribution des produits manufacturés sont contrôlés d'une main de fer par le régime. Mais les pénuries à répétition ont favorisé le développement de la contrebande depuis la Thaïlande, une économie parallèle contrôlée par les communautés ethniques.
■ Comme ses voisins, la Birmanie compte de nombreux lieux d'exception, à l'image de Bagan, un vaste site archéologique bouddhique situé dans la région de Mandalay. Mais le tourisme n'a véritablement commencé à se développer que dernièrement.
Depuis la dissolution de la junte, la Birmanie connaît une ouverture sans précédent et s'engage sur la voie du libéralisme économique. Pour preuve, un accroissement spectaculaire des investissements étrangers. Le tourisme et les services connaissent eux aussi un boom.
Mais dans la réalité:
■ La bureaucratie cauchemardesque complique l'installation des investisseurs étrangers.
■ Pas de garantie de l'investissement.
■ De nombreux investisseurs repartent car découragés par les difficultés.
D'où l'intérêt de toutes les parties pour des élections équitables afin de bénéficier de la bienveillance internationale, garantie du développement économique futur.
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