De "Yes we can" à "Black Lives Matter", le bilan mitigé du premier président noir des Etats-Unis
La politique raciale d'Obama, un échec?
Le 4 novembre 2008, Barack Obama est élu à la Maison Blanche et devient le premier Noir à accéder à la Maison Blanche. Quarante ans après l'assassinat de Martin Luther King, le leader historique de la lutte pour les droits des Afro-Américains, cette élection est un symbole très puissant, laissant entrevoir le début d'une nouvelle ère pour la minorité afro-américaine.
Même si Barack Obama s'est toujours présenté comme un président "post-racial", son élection fait rêver à la fin des inégalités outre-Atlantique. Pourtant, à l'approche du terme des deux mandats présidentiels du démocrate, les rêves laissent place à la réalité. Les injustices perdurent dans presque tous les domaines: situation socio-économique, santé, taux d'emprisonnement, etc.
Pire, la situation semble même s'être envenimée. Les tensions entre communautés resurgissent dans le débat public, à la faveur, notamment, de nombreuses affaires de violences policières aux dépens de la communauté noire. Ce sont ces drames qui ont d'ailleurs poussé Barack Obama à quitter parfois sa posture de président de tous les Américains à celle de premier président noir de l'histoire des Etats-Unis.
En 2015, le "Yes we can" ("Oui nous le pouvons") de Barack Obama 2008 a ainsi progressivement été détrôné par un autre slogan, beaucoup plus sombre: "Black Lives Matter" ("Les vies des Noirs comptent"), du nom d'un mouvement de défense de la communauté noire fondé il y a un peu plus de deux ans.
"Ce n'est pas un moment, c'est un mouvement"
AP/Keystone - David Goldman
"Black Lives Matter"
"Les vies des Noirs comptent": c'est avec ce slogan qu'un mouvement de défense de la communauté noire tente de bousculer la campagne présidentielle américaine.
Le mouvement est né en Floride en 2013, après l’acquittement du tueur de Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans tué par un agent de surveillance alors qu'il était non armé.
Il a pris de l’ampleur ces derniers mois à chaque fois qu’un Afro-Américain a été tué par la police. Au point que le New York Times a jugé que Black Lives Matter était le premier mouvement de défense des droits civils du XXIe siècle aux Etats-Unis. Ce dernier figurait par ailleurs en bonne place dans le traditionnel classement de la "personnalité de l'année" publié par Time Magazine début décembre.
La question raciale n'a toutefois pas réussi à s'imposer face aux discours anti-immigration qui agitent le camp républicain et à la problématique du terrorisme revenue en force, notamment après les attentats de Paris et la fusillade mortelle de San Bernardino.
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Les violences policières en toile de fond
Anadolu Agency/AFP - Samuel Corum
La problématique
La violence policière aux Etats-Unis est un problème global, qui touche toutes les communautés. Toutefois, elle frappe tout particulièrement la minorité noire. Depuis deux ans, de nombreux cas d'Afro-Américains tués par les forces de l'ordre ont défrayé la chronique. Retour sur deux exemples très médiatisés, parmi les dizaines d'affaires survenues récemment.
L'affaire Michael Brown
Le 9 août 2014, le jeune Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans, est abattu par un policier blanc à Ferguson, dans le Missouri. Des manifestation non violentes ainsi que des émeutes éclatent dans cette ville à majorité noire de la banlieue de Saint-Louis. Au terme de l'enquête fédérale sur ce cas, aucune poursuite ne sera menée contre le tireur, mais le rapport pointera tout de même une "routine de discrimination" au sein de la police locale.
L'affaire Freddie Gray
Le 12 avril 2015, à Baltimore dans le Maryland, Freddie Gray, un Noir de 25 ans, est arrêté, soupçonné à tort d'être en possession d'un couteau à cran d'arrêt illégal. Cervicales brisées, trachée écrasée: l'interpellation est violente. Freddie Gray plonge dans le coma décède une semaine plus tard, ce qui déclenche une semaine d'émeutes. Les six policiers impliqués seront inculpés d'homicide. Le 16 décembre 2015, le premier procès est annulé car les jurés ne réussissent pas à se mettre d'accord.
Le reportage
Notre correspondant aux Etats-Unis Pierre Gobet s'est rendu au Texas. Il a rencontré la famille d'un jeune Afro-Américain tué par les forces de l'ordre. Il a également rencontré le chef de la police locale, lui-même noir.
Les chiffres
LES NOIRS FORTEMENT SURREPRÉSENTÉS
Selon les chiffres compilés par le journal britannique The Guardian, 1095 personnes toutes communautés confondues ont été tuées par la police aux Etats-Unis du 1er janvier au 21 décembre 2015. Les Blancs, qui représentent la grande majorité de la population, paient le plus lourd tribut avec 535 victimes. Mais avec 272 morts, la minorité noire est fortement surreprésentée.
C'est en effet dans cette catégorie ethno-statistique que le taux de décès est le plus élevé (6,46 morts par million d'habitants). Les Amérindiens (3,4), es Hispaniques (3,05) et les Blancs (2,7) sont nettement moins touchés. Dans le même ordre d'idée, un quart des Noirs tués par la police étaient non armés, contre 17,2% chez les Blancs et 18,93% chez les Hispaniques.
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PRESQUE TOUS LES ÉTATS CONCERNÉS
Trois Etats très peuplés - la Californie (200 victimes), le Texas (107) et la Floride (68) - comptent plus du tiers des cas de personnes tuées par la police. Logiquement, c'est également dans ces Etats que le nombre de victimes noires est le plus important. Mais la disproportion de victimes noires par rapport au pourcentage de Noirs dans la population touche en réalité quasi tous les Etats (cf. graphique du bas ci-dessous).
Dans trois Etats, plus de 50% des personnes tuées par la police étaient noires: 100% dans le district de Columbia (5/5), 76,5% dans le Maryland (13/17) et 57,1% en Virginie (12/21). Pas moins de 12 Etats comptent plus d'un tiers de victimes issues de cette minorité. Seules quelques rares font exception, par exemple le Mississippi, qui compte 37,3% d'Afro-Américains et où moins d'une victime sur cinq est noire.
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LA CARTE DES VIOLENCES POLICIÈRES
La carte interactive ci-dessous donne davantage d'informations sur cette problématique. Elle détaille, pour chaque Etat, la population totale, le nombre de personnes tuées par la police pour un million d'habitants, le nombre de victimes totales, le nombre de victimes noires, le pourcentage d'Afro-Américains tués par rapport à tous les décès et le pourcentage de Noirs au sein de la population.
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Les Noirs, une minorité en difficulté socio-économique
AP Photo/Keystone - Patrick Semansky
La problématique
Malgré des avancées notables depuis l'époque de la ségrégation, la situation socio-économique de la majorité des Afro-Américains demeure très en deçà de celle de la moyenne de la population américaine.
Notre correspondant à Washington dresse le bilan de la situation socio-économique des Noirs aux Etats-Unis.
Les chiffres
DES STATISTIQUES ÉDIFIANTES
Taux de chômage, revenu, formation, pauvreté, propriété du logement ou encore espérance de vie: les six indicateurs statistiques ci-dessous - les chiffres les plus récents ont été retenus - montrent l'écart qui sépare encore la situation de la population noire aux Etats-Unis et celle des Américains dans leur ensemble.
Par exemple, le taux de chômage des Noirs s'établissait à 9,2% en septembre 2015, près du double de la moyenne nationale (5,1%). L'an dernier, le revenu médian des ménages afro-américains était quant à lui près de 20'000 dollars/an inférieur à celui calculé pour tous les ménages américains.
Le constat est le même pour le taux de pauvreté, qui dépasse les 25% de la population noire (14,8% en moyenne). Et ces déséquilibres se retrouvent dans l'espérance de vie: un Afro-Américain né en 2013 pouvait espérer vivre 75,5 ans, trois ans de moins qu'un Américain moyen.
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Sources: US Census Bureau, US Bureau of Labor, Centers for Disease Control and Prevention (CDC), National Center for Education Statistics
Les Noirs, surreprésentés dans les prisons américaines
Reuters - Roger Galbraith
La problématique
Le système judiciaire aux Etats-Unis est extrêmement sévère. Alors que les Etats-Unis représentent moins de 5% de la population, ils comptent près d'un quart de tous les détenus de la planète (2,217 millions en 2013). Un système inégalitaire et très coûteux.
Ces derniers mois, Barack Obama a plaidé pour une réforme du système pénitentiaire, notamment en insistant sur la réinsertion professionnelle à la sortie et en lançant un plan de libération anticipée pour des milliers de détenus. Il est devenu en juillet dernier le premier président en exercice à visiter une prison aux Etats-Unis.
Notre correspondant aux Etats-Unis Pierre Gobet s'est rendu il y a quelques mois en Géorgie, où il a rencontré un détenu récemment gracié. Après 15 ans passés en prison, cet Afro-Américains tente de se réinsérer dans la société.
Conséquence d'une sévérité plus importante de la justice ou d'une criminalité plus forte au sein de la minorité noire, la question est ouverte. Toujours est-il que les Afro-Américains sont très nettement surreprésentés dans les prisons outre-Atlantique.
TAUX DE DÉTENTION ET D'HOMICIDES
La situation est particulièrement critique côté masculin: avec 2724 détenus (pour au moins un an) pour 100'000 personnes, les hommes noirs sont trois fois plus souvent incarcérés que la moyenne (890/100'0000 habitants). La différence, même si elle est moins impressionnante, reste très forte chez les femmes (109 contre 65).
En termes de criminalité, les Afro-Américains sont d'ailleurs plus souvent victimes d'homicide. Ainsi, en 2013, 18,4 Noirs sur 100'000 ont trouvé la mort suite à un homicide, trois fois plus que la moyenne (5,1/100'000). Le constat est le même pour les homicides par arme à feu.
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Sources: US Bureau of Justice, Centers for Disease Control and Prevention (CDC)
La longue lutte pour les droits civiques
AP PHoto/Keystone - Cliff Owen
Les grandes dates
17 mai 1954
Dans un arrêt célèbre intitulé "Brown et al. vs Board of Education of Topeka et al.", la Cour suprême des Etats-Unis déclare inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles publiques, mettant un terme à la doctrine "separate but equal" ("séparés mais égaux") qui avait cours auparavant.
Même si son application dans tous les Etats américains prendra des années, ce jugement historique est l'une des premières victoires des opposants à la ségrégation et marque pour certains le véritable début du mouvement pour les droits civiques.
1er décembre 1955
Rosa Parks refuse de céder sa place dans un autocar à des usagers blancs à Montgomery, dans l'Etat ségrégationniste de l'Alabama. Cette couturière de 42 ans est arrêtée et condamnée à payer une amende de 14 dollars. Ce geste entraîne le boycott des autobus de la ville par les Noirs jusqu'à l'entrée en vigueur de l'arrêt "Browder vs Gayle".
La Cour suprême des Etats confirme un arrêt de la justice de l'Etat d'Alabama intitulé Browder vs Gayle qui déclare la ségrégation dans les bus inconstitutionnelle, ne respectant pas le 14e amendement de la Constitution américaine qui garantit l'égale protection de tous les citoyens américains.
1er février 1960
Quatre étudiants noirs décident de mener un sit-in à un comptoir dans un magasin Woolworth à Greensboro (Caroline du Nord) après avoir été refusés de service en raison de leur couleur de peau. Le mouvement prend peu à peu de l'ampleur puis se répand dans plusieurs villes du Sud américain, débouchant sur l'abandon de la ségrégation dans de nombreux magasins.
8 novembre 1960
Le démocrate John F. Kennedy remporte l'élection présidentielle face à son rival républicain Richard Nixon. Le nouvel élu avait pris fait et cause pour le mouvement des droits civiques, rencontrant notamment Martin Luther King durant la campagne.
5 décembre 1960
Dans son arrêt Boynton vs Virginia, la Cour suprême des Etats-Unis déclare que la ségrégation raciale dans les terminaux de bus est illégale car elle viole une loi fédérale, le Interstate Commerce Act.
Ce verdict conduira en 1961 à l'organisation des "Freedom Rides", une action de militants des droits civiques qui monteront à bord de bus en direction des Etats ségrégationnistes du Sud pour forcer la mise en oeuvre de cette décision. Ces militants seront violemment pris à partie par des activistes du Ku Klux Klan, notamment à Birmingham et Montgomery, en Alabama.
6 mars 1961
Le président John F. Kennedy signe l'ordre exécutif n° 10902 qui institue la discrimination positive aux Etats-Unis, connue sous le terme d'"affirmative action". Le décret oblige de "prendre une action affirmative" pour éviter toute discrimination dans les programmes financés par le gouvernement fédéral.
28 août 1963
Lors de la Grande marche sur Washington pour l'emploi et la liberté, qui réunit 200'000 à 300'000 participants, Martin Luther King prononce son discours historique "I have a dream" dans lequel il appelle à mettre un terme au racisme.
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15 septembre 1963
Un attentat à la bombe perpétré par des membres du Ku Klux Klan frappe l'église baptiste de la 16e rue à Birmingham (Alabama), un des quartiers généraux du mouvement pour les droits civiques. L'explosion provoque la mort de quatre jeunes filles et blesse 22 personnes.
13 avril 1964
L'acteur et réalisateur Sidney Poitier, militant pour les droits civiques, est le premier Noir à remporter l'Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans "Le Lys des champs".
21-22 juin 1964
Trois militants pour les droits civiques sont assassinés dans la nuit par des membres des White Knights of the Ku Klux Klan près de Philadelphia, dans le Mississippi. Les trois victimes étaient membres du "Freedom Summer" ("Eté de la liberté"), une campagne pour encourager les Noirs à s'inscrire sur les listes électorales.
Ce crime a suscité une vague d'indignation aux Etats-Unis. Alan Parker en a tiré un film en 1989, intitulé "Mississippi Burning". Il faudra attendre 2005, 41 ans après les faits, pour que l'homme considéré comme le principal conspirateur de cette affaire soit condamné.
2 juillet 1964
Le président Lyndon Johnson signe le Civil Rights Act, qui interdit toute discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l'origine nationale dans les écoles, sur les lieux de travail et dans tous les bâtiments publics.
10 décembre 1964
Martin Luther King reçoit le prix Nobel de la paix.
21 février 1965
Malcolm X est assassiné à Manhattan, probablement par trois membres de la Nation of Islam. Le leader noir américain avait quitté cette organisation politico-religieuse un an auparavant.
7 mars 1965
Ce dimanche 7 mars 1965, quelque 600 défenseurs des droits civiques marchent pacifiquement de Selma à Montgomery, dans le cadre d'une opération pour inscrire les membres de la minorité noire sur les listes électorales. Ils sont violemment attaqués par la police et une foule hostile. Cet événement - appelé "Bloody Sunday" ("dimanche sanglant") - est retransmis sur les télévisions nationales et permettra au mouvement de bénéficier du soutien de l'opinion publique.
11-17 août 1965
Des émeutes éclatent le 11 août 1965 dans le quartier de Watts à Los Angeles, à majorité noire, suite à une altercation entre des membres de la communauté noire et la police. En sept jours, elles feront 34 morts, quelque 1000 blessés et plus de 3000 personnes seront arrêtées.
Octobre 1966
Bobby Seale et Huey P. Newton fondent à Oakland, en Californie, le parti des Black Panthers, un mouvement révolutionnaire afro-américain.
4 avril 1968
Martin Luther King, au sommet de sa gloire, est à Memphis, dans le Tennessee, pour soutenir les éboueurs noirs locaux en grève. Vers 18h00, le prix Nobel de la paix est assassiné par un militant ségrégationniste sur le balcon de son hôtel.
29 avril 1992
Quatre officiers accusés d'avoir passé à tabac un automobiliste noir, Rodney King, en mars 1991 sont acquittés, un verdict qui enflamme les quartiers noirs de Los Angeles. Les six jours d'émeutes feront plus de 50 morts et 2300 blessés, tandis que quelque 11'000 personnes seront arrêtées.
21 juin 2005
Quarante et un an après les faits, un ancien responsable du Ku Klux Klan est condamné pour sa participation au meurtre de trois militants pour les droits civiques en juin 1964 dans le Mississippi.
4 novembre 2008
"Change has come to America": à 47 ans, le démocrate Barack Obama est élu 44e président des Etats-Unis. Le désormais ex-sénateur de l'Illinois devient le premier Noir à accéder à la Maison Blanche. Il n'insiste toutefois pas sur cette question, préférant se présenter en tant que candidat post-racial.
6 novembre 2012
Barack Obama est réélu pour un second mandat à la présidence des Etats-Unis.