"Les succès des Brigades rouges ne se mesuraient pas au nombre de morts"

Giovanni Senzani était de passage à Lausanne il y a quelques jours dans le cadre d’un cycle sur le nouveau cinéma italien proposé par la Cinémathèque suisse et la présentation du film "Sangue" de Pippo Delbono.

Dans l'interview qu'il a accordée à cette occasion pour l'émission Forum, l'homme se raconte, revient sur son parcours, explique comment le licencié en droit, sociologue et chercheur en criminologie qu'il était est devenu l’un des leaders de la lutte armée durant les "années de plomb" en Italie.

Lentement des choses ont mûri en moi, une forme de lutte beaucoup plus radicale

Après des années de militantisme pacifique au sein de groupes d’extrême-gauche, il a fait le grand saut, pris les armes et choisi la clandestinité. "Lentement des choses ont mûri en moi, une forme de lutte beaucoup plus radicale (…), jusqu’au point où j’ai réalisé que cette lutte comportait des sacrifices, qu’il y allait avoir des morts (…) J’ai réfléchi à la cohérence entre l’analyse de cette lutte et la pratique. Je devais adhérer, j’ai décidé de faire le saut."

Une politique qui se fait avec les armes

L'ancien chef des Brigades rouges, condamné pour enlèvement et homicides, reconnaît que les actes étaient graves. "Mais faire la révolution, c'est quelque chose de grave assurément, c'est quelque chose d'absolu", ajoute-t-il immédiatement. "Dans mon cas, quand la question de la lutte armée s’est posée, cela voulait dire pratiquer une politique dont une part importante se fait avec les armes. Autrement dit, ça nous mettait dans un rapport de guerre, dans un lien évident et immédiat avec la violence."

Mais la mort n'a pas cessé, depuis, de hanter Giovanni Senzani. "La mort, quand tu la donnes, quand tu fais cet acte, c’est quelque chose qui t’envahit, qui te prend de tout ton corps." Et d'assurer qu'il n'était pas, à la base, quelqu'un de violent même s'il a pratiqué la violence. "Ce sont mes idées politiques qui m’ont conduit à une détermination."

Aucune comparaison avec la lutte djihadiste d'aujourd'hui

L'ancien brigadiste tient à faire la différence entre son combat de l'époque et la lutte islamiste d'aujourd'hui: "Pour nous, tout était précis, choisi; tout était lié à une idéologie politique. Je ne suis pas en train de me justifier, mais on n’a jamais rêvé de mettre des bombes un peu partout. Pour nous, ce n'était pas concevable d’avoir des victimes innocentes."

La mort, quand tu la donnes, c’est quelque chose qui t’envahit, qui te prend de tout ton corps

Pour Giovanni Senzani, il n’existe aucune corrélation entre ce que son groupe a fait à l'époque et le terrorisme islamiste d’aujourd’hui: "Ce sont deux choses complètement différentes. Notre expérience politique est née d’un débat politique (…) On voulait faire la révolution dans notre pays, le transformer. On n’était jamais dans ce rapport 'plus tu tues, plus tu gagnes', au contraire. Nous, moins on tuait et plus on obtenait."

Nous, nous avons vécu une époque de grands idéaux, c'était beau d'être jeune

Depuis les "années de plomb", le monde a changé, s’est transformé. "Nous, nous avons vécu une époque de grands idéaux", se remémore l'ancien extrémiste avec une sorte de nostalgie. "Disons que c’était beau d’être jeune à mon époque  Les jeunes aujourd’hui, je sens des pulsions de changement positives mais en même temps on dirait qu’ils sont vides, las, comme freinés. Ils sont tristes."

"Je fais les comptes tous les jours"

Aujourd'hui encore, Giovanni Senzani n’a pas de regrets face à son parcours. "Ce que j'ai fait, je l’ai fait (…) C’est mon histoire, c’est tout. Mais il faut faire les comptes et je les fais tous les jours. Evidemment que les regrets d’avoir donné la mort existent. Ils sont toujours là, ont toujours été là. Parce que ça te reste à l’intérieur (…) C’est là."

Valérie Hauert/oang