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Trois mois après, bilan en demi-teinte pour l'état d'urgence en France

Des perquisitions et interpellations ont eu lieu dans plusieurs villes de France comme ici à Toulouse. [AP/Keystone]
Des perquisitions et interpellations ont eu lieu dans plusieurs villes de France comme ici à Toulouse. - [AP/Keystone]
Alors que l'Assemblée nationale a prolongé mardi de trois mois l'état d'urgence, bilan chiffré des trois premiers mois de ce régime d'exception, instauré en France dans la foulée des attentats de Paris.

Après le Sénat la semaine dernière, l'Assemblée nationale française a définitivement adopté la prorogation de l'état d'urgence, décrété par le président François Hollande dans la nuit du 13 au 14 novembre à la suite des attentats de Paris.

>> Lire : Les députés français adoptent la révision de la Constitution

Ce dispositif, supposé répondre à "une menace précise et imminente", est ainsi prolongé jusqu'à fin mai. Et, bien que l'exécutif français se défende de vouloir instaurer un état d'urgence permanent, les déclarations du Premier ministre Manuel Valls laissent penser que ce régime d'exception pourrait prendre ses quartiers encore quelque temps.

Six condamnations pour terrorisme

Le ministre de l'Intérieur français Bernard Cazeneuve a dressé un nouveau bilan chiffré des opérations menées pendant l'état d'urgence mardi devant le Parlement.

Selon le chef des policiers de France, 3379 perquisitions administratives ont été menées en trois mois; 395 interpellations ont donné lieu à 344 gardes à vue.

Au total, plus de 560 procédures judiciaires ont été ouvertes, mais elles n'ont donné lieu qu'à 67 condamnations, dont une minorité pour des faits de terrorisme.

"Le bilan peut paraître modeste, mais les résultats vont bien au-delà : les renseignements collectés numériquement restent à exploiter ; les trafics d'armes et de stupéfiants qui alimentent le terrorisme sont désorganisés", défend Bernard Cazeneuve. De fait, 580 armes ont ainsi pu être saisies.

Armes saisies

Au cours de ce trimestre, environ 400 personnes ont été assignées à résidence. Parmi elles, une trentaine l'ont été en marge de la COP21, au motif qu'elles représentaient un risque de "trouble à l'ordre public". L'assignation a été levée sitôt la conférence sur le climat terminée.

Présentées comme des "bases arrière" de la radicalisation, 10 mosquées ont été fermées; parmi elles, celles de Pontoise, de Gennevilliers et de Lagny-sur-Marne, en région parisienne, ou celles de l'Arbresle et de Vénissieux, près de Lyon. Au total 45 mosquées, notamment celles de Brest et d'Aubervilliers, ont fait l'objet de perquisitions.

"Près de 2000 Français sont concernés de près ou de loin par les activités terroristes qui agissent en Irak et en Syrie", a souligné mardi Bernard Cazeneuve, ajoutant que 50 personnes avaient été interpellées depuis le début de l'année 2016 "pour apologie du terrorisme ou pour association de malfaiteurs en vue de la commission d'un acte terroriste".

Alors que 600 ressortissants se trouvent actuellement en Irak ou en Syrie, un peu plus de 70 Français revenus du djihad ont été incarcérés, tandis que près de 200 autres font l'objet d'une surveillance accrue.

Djihadistes

Mesures "disproportionnées" selon Amnesty

Bien que l'état d'urgence remporte toujours l'adhésion populaire (près de 8 Français sur 10 lui sont favorables, selon un sondage paru le 30 janvier), de plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer des dérives.

Un rapport d'Amnesty International relaie ainsi les témoignages de 60 personnes qui, sur la base de soupçons plus ou moins étayés, ont été la cible de perquisitions nocturnes, de menottages, de dégâts matériels, d'insultes ou encore de coups.

>> Lire : Amnesty dénonce les dérives de l'état d'urgence en France

Pour Dominique Curis, co-auteure de ce document, "il n'y a pas grand-chose à redire en soi à l'état d'urgence, un dispositif exceptionnel que le droit international autorise dans des circonstances elles aussi exceptionnelles". Le problème est que la loi, "floue", "permet une mise en oeuvre très large".

"Les mesures sont disproportionnées: d'une part dans leur durée -trois mois après, on est toujours dans un régime dérogatoire- et, d'autre part, dans leur gravité", estime Dominique Curis.

Certaines personnes sont punies par une assignation à résidence alors qu'il n'y a aucune accusation concrète contre elles. Elles doivent de ce fait jongler trois fois par jour avec leur emploi pour aller pointer au commissariat et, parfois, sans lien direct avec la lutte contre le terrorisme.

Dominique Curis

Des "faits isolés" pour Bernard Cazeneuve

Dans son travail, l'ONG s'inquiète aussi du caractère "discriminatoire" de l'état d'urgence, qui cible apparemment davantage la population musulmane, que sa "pratique religieuse soit réelle ou supposée", souligne Dominique Curis.

Beaucoup de témoignages font état d'allusions à leur pratique religieuse jugée "radicale", mais sans qu'on leur ait fourni la moindre explication sur ce que cela signifie.

Dominique Curis

Des accusations dont Bernard Cazeneuve a aussi pris acte : "Certaines perquisitions ont donné lieu à des critiques. J'ai constaté effectivement des faits isolés", a-t-il fait savoir lors de la présentation de son bilan.

Dès la fin novembre, il avait envoyé à toutes les préfectures une circulaire destinée à recadrer les perquisitions administratives, qui avaient déjà donné lieu à plusieurs dérapages.

Pauline Turuban

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Du "crowdsourcing" pour recenser les dommages collatéraux de l'état d'urgence

Le site La Quadrature du Net, qui milite pour la neutralité d'internet, a lancé après l'instauration de l'état d'urgence une plateforme collaborative permettant aux internautes de recenser les articles de presse qui traitent des conséquences du dispositif.

On y retrouve de nombreux récits de perquisitions musclées n'aboutissant sur aucune suite judiciaire, les assignations à résidence de militants écologistes ou la dispersion inexpliquée de certains rassemblements.