RTSinfo : Quels étaient les principaux objectifs de la Russie lorsqu'elle s'est engagée dans le conflit syrien le 30 septembre 2015 ?
Cyrille Bret : Lorsqu'il a annoncé à l'ONU l'intervention militaire russe en Syrie, Vladimir Poutine a invoqué les buts suivants: rétablir le gouvernement légal, préparer une solution politique et lutter contre le djihadisme. Mais il avait aussi des objectifs officieux: préserver le client historique qu'est la Syrie, et défier les représentants du Califat en Tchétchénie qui ont prêté allégeance à l'EI.
RTSinfo: Lors de son annonce lundi, Vladimir Poutine a affirmé que la tâche avait été "dans l'ensemble remplie". Comment interprétez-vous cette phrase?
Tout dépend de quels objectifs on parle. Si l'on parle des buts officiels annoncés à l'ONU, la réponse est clairement non. On voit bien que la guerre en Syrie n'est pas terminée et que les différentes forces terroristes sont loin d'être anéanties. Mais les buts réels de Vladimir Poutine, eux, ont en quelque sorte été atteints.
La Russie est parvenue à défendre ses intérêts en maintenant le clan Assad en selle -au prix de la destruction de l'Etat syrien et de sa subordination totale à Moscou- et en bombardant les combattants russes partis se battre au Moyen-Orient.
Il ne faut toutefois pas surestimer l'ampleur de l'annonce faite lundi. Vladimir Poutine n'a pas donné de précisions sur le calendrier et les forces russes vont rester très largement stationnées dans les bases en Syrie.
RTSinfo: Plusieurs bombardements d'hôpitaux ou d'écoles ont été attribués aux frappes russes. Comment évaluez-vous le bilan humain de cette intervention militaire?
Cyrille Bret: Les interventions militaires russes sont moins sensibles à la préservation des vies civiles. Moscou a clairement centré ses frappes sur les forces anti-Assad quelles qu'elles soient, pas seulement islamistes mais aussi laïques.
RTSinfo: Quelles peuvent être les retombées économiques de cette intervention pour la Russie ?
Cyrille Bret: L'économie russe est actuellement en récession. Or, les opérations militaires coûtent cher, il est donc probable que l'économie russe en pâtisse dans un premier temps. Mais ce qui marche en Russie, ce sont les exportations d'hydrocarbures et de matériel d'armement. En intervenant en Syrie, la Russie a préservé tant bien que mal un débouché pour ces exportations.
Bien que le régime de Damas soit en faillite, l’industrie russe se sert surtout de la Syrie comme d'un "showroom" pour faire la démonstration de son armement aux autres acteurs régionaux, en particulier l'Iran.
RTSinfo: Enfin, sur le plan diplomatique, la Russie sort-elle grandie de cet épisode ?
Si ses succès sont relatifs par ailleurs, l'opération a été très réussie pour la Russie sur la scène internationale. Rappelons qu'en août 2015, après les événements ukrainiens, Moscou était isolé vis-à-vis de l'Europe et des Etats-Unis.
Sa principale victoire en Syrie a été de changer son statut: elle a cessé d'être principalement un rival à l'est pour devenir un allié relatif. La Russie ne constitue plus désormais le principal risque, mais ce qui permet de lutter contre le principal risque, à savoir le terrorisme.
Propos recueillis par Pauline Turuban
Cyrille Bret (@cy_bret) est maître de conférence à Sciences-Po Paris et codirige le site géopolitique EurAsia Prospective. Il a enseigné notamment à l'Université de Moscou (MGU).
Un timing bien choisi
Pour Cyrille Bret, l'annonce faite par Vladimir Poutine lundi du retrait des forces russes de Syrie est "tout sauf une surprise". "Dès le 28 septembre dernier, le président russe avait annoncé que l'opération serait courte; il avait même évoqué une fin de l'intervention en février", rappelle le spécialiste.
Cyrille Bret estime que ce n'est pas un hasard si l'annonce a été faite le jour de la reprise des discussions à Genève. Selon lui, faire la démonstration de sa force militaire avant de donner des signes d'apaisement est caractéristique de la "technique de négociation russe".