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Jean-Pierre Le Goff: "Nuit debout est un symptôme plus qu'une solution"

Jean-Pierre Le Goff. [France Télévisions]
Jean-Pierre Le Goff, sociologue et philosophe / L'invité de la rédaction / 23 min. / le 19 avril 2016
Le sociologue et philosophe Jean-Pierre Le Goff, invité du Journal du matin sur RTS La Première, ne voit en "Nuit debout" qu'un mouvement juvénile, miroir du malaise politique en France.

Ces milliers de personnes rassemblées sur la place de la République à Paris depuis le 31 mars pour manifester contre la modification de la loi française sur le travail ne vont pas renouveler la politique, estime Jean-Pierre Le Goff.

Ce mouvement, qui manque de représentativité de la société, selon lui, ne réunit que des fonctionnaires, des enseignants, et toute une catégorie de gens "qui se sentent comme dans une forteresse assiégée et qui se regroupent". "Les travailleurs et les ouvriers du privé ne sont pas là."

Jeunesse utopique

Comparant le rôle de la jeunesse avec celle de mai 68 et son slogan "Sois jeune et tais-toi", Jean-Pierre Le Goff rappelle que cette affiche avait du sens à l'époque, lorsque la jeunesse se trouvait en bas de la hiérarchie sociale.

"Près de 50 ans plus tard, jamais les jeunes n’ont été autant valorisés", affirme le sociologue, tout en constatant que ces jeunes se retrouvent dans une société où il n'y a pas de travail. "Ils sont valorisés, et en même temps, ils ont des contrats précaires."

Une situation qui débouche, selon le penseur, sur des revendications "utopiques", telles que "des salaires minimums irréalistes, l'idée d'un contrat à durée indéterminée (CDI) sur le modèle de la fonction publique ou des appels à la grève générale", énumère-t-il.

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Des individus esseulés

"On ne voit pas concrètement sur quoi ce mouvement va déboucher", dit le sociologue, pour qui "Nuit debout" n'est pas un retour au collectif, mais "un mouvement d'individus esseulés qui se retrouvent et qui discutent".

Il rejoint ainsi l'avis de son confrère, l'essayiste français Alain Finkielkraut qui a affirmé, après avoir été "expulsé" par des manifestants, que ce mouvement se résumait à "une kermesse gauchiste sous cloche, une bulle révolutionnaire lovée au milieu d'une ville complètement indifférente".

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Alain Finkielkraut après son éviction de la Nuit Debout. [YouTube - Cercle des Volontaires]YouTube - Cercle des Volontaires
Départ précipité d'Alain Finkelkraut: Nuit debout est-elle ouverte à tous? / Le Journal du matin / 2 min. / le 19 avril 2016

Une "démocratie façon lycéenne et juvénile"

"Le niveau du débat est tel qu'il est, c'est un grand défouloir", juge Jean-Pierre Le Goff. Pour lui, l'idée de reconstruire une constitution et que "chacun apporte son petit morceau" est "très gentille", de même que l'agriculture écologique. Mais "de là à dire qu'on va construire un projet sans les politiques et que l'on n'a pas besoin de l'Etat, c'est une impasse anti-démocratique. C'est une démocratie directe, mais façon lycéenne et juvénile".

Les critiques de l'Etat et du politique qui ressortent du mouvement ne sont pas pour autant injustifiées, selon le philosophe. "Quand l'Etat ne joue pas son rôle, et que ce qui compte le plus pour les politiques est leur réélection et leur place, il est normal que la société se révolte", même si elle le fait de manière confuse. "Nuit debout" ne serait donc que le miroir d'un manque de forme de la société politique.

Jean-Pierre Le Goff admet toutefois ne jamais être allé sur place. "Je ne vois pas ce que je vais y chercher. Ce mouvement est une impasse, avec des représentants des lycéens qui critiquent les patrons alors qu'ils n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise", ironise-t-il.

fme

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