Dans le centre d'enregistrement d'Endabaguna, un ballet de minibus amène toute la journée des Erythréens qui ont fui le régime d'Issayas Afewerki. Selon les statistiques du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), qui gère les lieux, ils sont entre 150 et 300 à être amenés ici au quotidien après avoir été recueillis près de la frontière par l'Office éthiopien des réfugiés (ARRA).
Les nouveaux arrivants sont ensuite répartis entre quatre camps de la région de Shire où vivaient plus de 36'000 Erythréens fin mars 2016. Sur l'ensemble du territoire éthiopien, le HCR estime cette population à 130'000 individus.
35% d'enfants
Selon les données du HCR, la population des camps de réfugiés est majoritairement masculine (61%). Les enfants y sont également particulièrement nombreux puisqu'ils représentent 35% des effectifs recensés. Enfin, un mineur sur cinq a passé la frontière seul.
A la frontière, les soldats érythréens regardaient en haut vers les collines, alors nous sommes passés par en bas
C'est le cas, par exemple, de Philemon. A 12 ans, il a traversé la frontière avec un copain du même âge. Un de ses parents se trouve dans un autre camp de la région et sa soeur vit aux Pays-Bas. L'émotion l'étreint quand il raconte comment il a traversé la frontière.
"A la frontière, les soldats érythréens regardaient en haut vers les collines où sont les gardes éthiopiens, alors nous sommes passés par en bas et ils ne nous ont pas vus", raconte-t-il, plutôt fier.
Un pays exsangue
Comme la plupart de ceux qui arrivent à Endabaguna, Philemon a fui pour échapper aux griffes de l'armée érythréenne et de son emprise sur toute la société. Les jeunes, garçons et filles, sont enrôlés pour un temps indéterminé qui peut durer des années. Et personne n'est à l'abri d'un régime militaire de plus en plus ubuesque. Comme cet homme déjà âgé auquel le gouvernement demandait à nouveau de travailler pour l'armée. "Comme j'ai un frère en Suisse, j'aimerais le rejoindre", confie-t-il à la RTS.
De fait, les Erythréens forment la première communauté parmi les demandeurs d'asile en Suisse, avec plus de 10'000 demandes en 2015. Leur légitimité à un droit de séjour fait toutefois régulièrement l'objet de vifs débats politiques.
Les réfugiés rencontrés évoquent eux l'oppression permanente, les arrestations arbitraires et la dégradation de l'économie aux mains d'une caste militaire pour justifier leur exil. L'air est tout simplement devenu irrespirable, assurent-ils.
De véritables villages
Cette hémorragie quotidienne d'un pays exsangue se déverse ensuite dans les camps de la région, dont le premier a ouvert en 2004. Il s'agit de véritables villages, comme celui de Mai-Aini qui compte 10'000 habitants.
Les lieux sont ouverts avec des rues en terre battue et des maisons en pierre plutôt bien construites. Si ce n'est pas l'opulence, il y règne une vie quotidienne presque normale, avec des marchands de légumes, un coiffeur et même des cafés-restaurants qui redoublent d'inventivité pour attirer les clients.
Le camp compte en outre quatre écoles où sont mélangés les enfants de réfugiés et ceux des villages voisins. Le matériel est financé par l'Eglise orthodoxe éthiopienne et les enseignants sont éthiopiens. Les cours sont donnés en tigrigna, la langue parlée des deux côtés de la frontière et - comme partout en Ethiopie - l'enseignement secondaire se fait en anglais.
Pour permettre aux jeunes réfugiés de fuir l'oisiveté, des activités sportives ainsi que des ateliers de peinture et de musique (voir vidéo ci-dessous) sont organisés avec le concours financier du Service jésuite international.
Un rêve d'ailleurs
Malgré cela, la vie sur ces hauts plateaux arides et éloignés de tout reste très dure, et la plupart des jeunes rêvent d'une vie ailleurs. Peu d'entre eux effectueront toutefois le dangereux voyage vers l'Europe, à travers le Soudan, la Libye et le détroit de Messine.
Pour de nombreux réfugiés, si la situation politique ne change pas dans leur pays d'origine, l'avenir se limitera encore pendant de nombreuses années aux frontières du camp de Mai-Aini.
>> Voir aussi le grand format sur la sécheresse en Ethiopie :
Yves Magat/jgal