- RTSinfo: Quelles sont les positions défendues par les différentes organisations syndicales françaises vis-à-vis du projet de réforme du code du travail?
Dominique Andolfatto: Il existe en France un clivage entre les syndicats dit "réformistes" et ceux considérés comme "contestataires". Parmi les réformistes, le principal est la Confédération française démocratique du travail (CFDT). On compte aussi la Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ou encore la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC). Les principaux syndicats contestataires sont la Confédération générale du travail (CGT) et Force ouvrière (FO).
La nouvelle loi prévoit que les règles régissant les entreprises ne soient plus toutes édictées au sommet de l'Etat mais puissent en partie être négociées au sein même des entreprises. La CGT et FO y sont farouchement opposées car elles craignent un recul des droits des salariés; ils omettent de dire que les accords d'entreprise seraient négociés par les syndicats, et qu'il ne tiendrait donc qu'à eux d'éviter cela. Les syndicats réformistes, par contre, sont favorables à la loi. Ils estiment qu'elle permettra de responsabiliser les acteurs au niveau de l'entreprise et de mieux adapter le droit aux situations locales.
- RTSinfo: La CGT revendique un peu moins de 700'000 adhérents, FO 500'000... Le mouvement ne pose-t-il pas de nouveau la question de la représentativité des syndicats en France?
D. A.: Selon une étude récente du ministère du Travail, le taux de syndicalisation est de 11%, ce qui classe la France parmi les pays européens où les salariés sont les moins syndiqués. Cela peut d'ailleurs paraître assez paradoxal quand on voit la puissance des mouvements sociaux dans le pays. Pour autant, on ne peut pas dire que les syndicats ne sont pas représentatifs: en effet, depuis une réforme remontant à 2008, leur représentativité ne se mesure pas par le taux d'adhésion mais sur la base des élections professionnelles qui ont lieu dans les entreprises.
Pour être considéré comme représentatif, un syndicat doit obtenir plus de 10% des voix aux élections, les résultats sont ensuite cumulés au niveau national. Selon ces règles, la CGT, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC sont représentatifs. Et la CGT est le premier syndicat en France. La participation aux élections professionnelles tourne autour de 70%. Cela montre qu'il y a un soutien à ces organisations: même s'ils ne prennent pas de carte d'adhérents, les Français vont déposer des bulletins de vote dans les urnes.
- RTSinfo: La CGT est-elle un syndicat coutumier du rapport de force?
D. A.: Historiquement la CGT se positionne comme un syndicat de lutte, elle a longtemps été associée au Parti communiste français. Toutefois, depuis le déclin du communisme, elle tentait d'évoluer vers un syndicalisme de négociation. Elle a en outre a connu récemment des tangages de direction depuis le départ de Bernard Thibault en 2013.
Le dirigeant actuel, Philippe Martinez, a seulement été adoubé en avril dernier. Il semble qu'il veuille s'imposer dans l'organisation et sur le plan social en France. Le mouvement actuel doit beaucoup à ce syndicaliste traditionnel issu de la métallurgie. Philippe Martinez veut "montrer ses muscles" et profiter de la réforme pour permettre à la CGT de tourner la page de ses difficultés récentes. Par ailleurs, la CGT a conclu lors de son dernier congrès que l'évolution vers un syndicalisme du compromis ne lui avait pas beaucoup rapporté. Elle est donc en train de réorienter sa ligne pour revenir à une CGT dite "canal historique", plus véhémente.
- RTSinfo: Pourquoi l'intersyndicale est-elle passée des manifestations au blocage de raffineries?
D. A.: Au début du mouvement, les syndicats ont adopté la "stratégie de la rue", c'est-à-dire des manifestations récurrentes. La première, fin mars, avait mobilisé un peu plus d'un million de personnes en France selon les syndicats, 400'000 selon la police. C'était signifiant mais ce n'était déjà pas Mai-68 en termes de mobilisation. Or, lors des manifestations suivantes, les chiffres n'ont cessé de reculer. Pour la dernière manifestation la semaine passée, il y a eu 400'000 manifestants en France selon les syndicats, 100'000 selon la police. Il semble que la stratégie de la rue patine.
Quand les syndicats sont confrontés à ce type de situation, ils "changent le terrain des luttes": cela consiste à mener des actions plus minoritaires, en faisant appel aux équipes les plus jusqu'au-boutistes, et à tenter de causer les plus grandes nuisances possibles pour être entendu. Ainsi la CGT s'appuie-t-elle sur ses organisations les plus radicalement à gauche, notamment celles de la chimie et de l'énergie, pour mener des actions de blocage (raffineries, centrales nucléaires).
>> Lire aussi : Nouveaux heurts en France lors de protestations contre la loi Travail
- RTSinfo: Un mouvement qui impacte ainsi la vie quotidienne des Français peut-il rester populaire?
D. A.: Si l'on en croit les derniers sondages, 60 à 70% des Français sont opposés à la réforme du code du travail. Dans les premiers jours, l'opinion ne semblait pas hostile aux opérations coup de poing de la CGT, même dans les raffineries, parce qu'elle avait le sentiment que les syndicats contestataires avaient plutôt raison de s'opposer à la nouvelle loi. Il semble toutefois qu'un retournement est en train de s'opérer et, dès lors que toutes les pompes à essence seront à sec, il est probable que l'opinion se retourne massivement.
Propos recueillis par Pauline Turuban
>> Dominique Andolfatto est professeur de sciences politiques à l'Université de Bourgogne (est de la France), spécialiste des syndicats, auteur de "Sociologie des syndicats" et "Syndicats et dialogue social. les modèles occidentaux à l'épreuve".
Le nombre d'adhérents par syndicat en France
OFFICIEL / OFFICIEUX (selon Dominique Andolfatto)
CGT: 690'000 / 500'000
CFDT: 800'000 / 450'000
FO: 500'000 / 250'000
CFE-CGC: entre 100'000 et 150'000
CFTC: entre 100'000 et 150'000