Publié

La chaîne de TV Al-Jazeera accusée de flirter avec les idées de Daech

La salle de rédaction et le studio principal d'Al-Jazeera à Doha. [Reuters - Fadi Al-Assaad]
Al-Jazeera critiquée pour sa couverture de la bataille de Falloujah / Tout un monde / 6 min. / le 29 juin 2016
Le traitement de la bataille de Falloujah opposant les forces irakiennes au groupe Etat islamique par Al-Jazeera fait l'objet de vives critiques. Ce n'est pas la première fois que la chaîne de télévision qatarie suscite la polémique.

Al-Jazeera est opposée au régime irakien et aux milices chiites alliées de Bagdad, et la chaîne du Qatar, pays sunnite conservateur, le fait savoir. Dans le monde arabe, on l'accuse carrément de flirter avec les idées des djihadistes du groupe Etat islamique (EI).

Les forces irakiennes ont annoncé il y a trois jours avoir repris Falloujah à l'EI. Et pendant les affrontements, les journalistes de la plus grande chaîne d'information en langue arabe ont ainsi utilisé sur les réseaux sociaux un vocabulaire très proche de celui du groupe terroriste, employant des termes très agressifs et dénigrants contre les ennemis de Daech.

Les médias arabes sont en train d'allumer des incendies qu'on voit éclater dans toute la région

Yves Gonzalez, spécialiste du monde arabe

Par exemple, les membres des forces irakiennes sont qualifiées de "safavides" par un reporter, un terme insultant qui renvoie à une dynastie perse du 16e siècle et au conflit religieux. Dans le même esprit, sur Al-Jazeera, on parle parfois de croisés pour nommer la coalition occidentale contre l'EI, référence là aussi aux guerres de religion.

Le Printemps arabe a tout changé

Pour Yves Gonzalez, spécialiste du monde arabe, ce ne sont pas des dérapages isolés de journalistes. "Al-Jazeera est le révélateur de la décadence - ou en tout cas de la mauvais santé - des médias arabes qui sont en train de sombrer dans un langage sectaire au lieu d'informer la société, d'être un contre-pouvoir", estime-t-il dans l'émission Tout un monde.

Les médias arabes "sont en train d'allumer des incendies qu'on voit éclater dans toute la région et dont on se demande comment et quand ils pourront s'éteindre", regrette le chercheur à l'Université de Lyon II et animateur du blog "Culture et politique arabes". Et pour Al-Jazeera, "tout a basculé grosso modo avec le Printemps arabe", juge-t-il.

Un modèle devenu porte-parole du Qatar

Auparavant, la chaîne qatarie était en effet un modèle respecté dans le monde arabe et au-delà. Sa ligne éditoriale reflétait la diversité de la région, notamment au niveau idéologique. A partir de 2011 toutefois, "elle est devenue une chaîne comme il y en a beaucoup dans la région, une chaîne qui en fait est le porte-parole des intérêts de la diplomatie du Qatar."

Cette dernière est fortement engagée dans les événements en Egypte, en Syrie, au Bahreïn, au Yémen, en soutien aux opposants de ces régimes, en particulier les courants islamistes. Même si elle n'a bien évidemment pas inventé le sectarisme au Moyen-Orient, la chaîne relaie voire encourage ses pires manifestations, estiment les voix critiques.

Le double discours d'Al-Jazeera

Al-Jazeera est un important groupe médiatique qui vise aussi à s'adresser à l'extérieur du monde arabe, et en ce sens tous les canaux n'ont pas la même ligne éditoriale. La plateforme numérique AJ+, qui produit des formats courts pour les réseaux sociaux, axe ainsi ses thématiques sur les droits de l'homme, les réfugiés, le racisme.

L'aventure américaine d'Al-Jazeera a été un fiasco retentissant

Yves Gonzalez, spécialiste du monde arabe

Cela montre que le "soft power" du Qatar passe par un double discours selon les canaux d'Al-Jazeera, l'un populiste à destination d'une opinion arabe sunnite chauffée à blanc, l'autre qui vise le public occidental. Pour autant, affirme Yves Gonzales, il faut relativiser les ambitions actuelles du Qatar dans sa communication extérieure, ambitions largement revues à la baisse.

"Même si c'est moins visible que pour l'Arabie saoudite, le Qatar souffre de la baisse des prix du pétrole", remarque Yves Gonzalez. Le chercheur note par ailleurs qu'Al-Jazeera America a été un "fiasco retentissant" et que les tentatives d'ouvrir des canaux ailleurs dans le monde sont selon lui "au point mort".

Alexandre Habay/dk

Publié