"La Turquie va suspendre la Convention européenne des droits de l'Homme dans la mesure où cela ne contrevient pas à ses obligations internationales, tout comme la France l'a fait" après les attentats de novembre 2015, a annoncé Numan Kurtulmus, cité par l'agence progouvernmentale Anadolu.
L'article 15 de la CEDH reconnaît aux gouvernements, "dans des circonstances exceptionnelles", la faculté de déroger, "de manière temporaire, limitée et contrôlée", à certains droits et libertés garantis par la CEDH.
Pas de condamnation de la CEDH
Cette dérogation - qui ne dispense pas un pays de respecter certains droits inaliénables - prémunit donc la Turquie contre d'éventuelles condamnations de la CEDH alors que de vastes purges sont en cours dans l'armée, la justice, la magistrature, les médias et l'enseignement après le coup d'Etat raté du 15 juillet.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé mercredi dans la soirée l'instauration de l'Etat d'urgence pour une durée de trois mois. Il veut ainsi donner au gouvernement les moyens de mener la lutte contre les auteurs du putsch avorté.
>> Recep Tayyip Erdogan proclame trois mois d'état d'urgence en Turquie
Le vice-Premier ministre a cependant affirmé jeudi que l'Etat d'urgence pourrait prendre fin dans un mois à un mois et demi. Numan Kurtulmus a pointé des lacunes "structurelles et individuelles" des services de renseignement pendant la tentative de coup d'Etat et promis une restructuration de l'armée.
En France, l'Etat d'urgence a été lancé après les attentats du 13 novembre à Paris. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont voté mercredi son prolongement pour six mois, jusqu'en janvier 2017.
afp/reuters/mre
Des garanties pour tous les Européens
En vigueur depuis 1953, la Convention européenne des droits de l'Homme, à laquelle la Turquie va déroger, est un ensemble de droits fondamentaux que doivent respecter les pays membres du Conseil de l'Europe.
La CEDH définit les droits et libertés fondamentaux auxquels chacun des citoyens résidant en Europe peut prétendre.
Dans son article 2, la Convention garantit "le droit de toute personne à la vie". Elle protège aussi "le droit à la liberté et à la sûreté", le droit à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance.
Elle interdit l'esclavage et le travail forcé dans son article 4. Elle protège aussi la liberté d'expression et de la presse, de pensée, de conscience et de religion et la liberté de réunion pacifique et d'association.
Son protocole 6 abolit la peine de mort mais admet qu'un Etat membre "peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre".
Pouvoirs étendus pour l'exécutif
L'état d'urgence annoncé mercredi par le président turc Recep Tayyip Erdogan donne des pouvoirs étendus à l'exécutif en lui permettant de prendre des décrets ayant "force de loi", selon la Constitution.
Le chef de l'Etat réfute toute atteinte aux libertés fondamentales et rejette les critiques venues de l'étranger. "Nous resterons un système démocratique parlementaire, nous ne reculerons jamais là-dessus", a assuré le président Erdogan mercredi soir sur Al-Jazeera.
Selon les analystes, les décisions qui seront prises en relation avec l'état d'urgence peuvent limiter la liberté de manifester, de circuler librement, peuvent conduire à un contrôle des médias. Des mesures de couvre-feu peuvent aussi être décidées.
L'OSCE (Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe) a prévenu que cet "état d'urgence ne pouvait pas légitimer des mesures disproportionnées, comme parmi d'autres, la récente interdiction de voyager pour leur travail, imposée aux universitaires".