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Chaque nouvel attentat effrite un peu plus l'unité politique en France

L'unité politique qui était de mise depuis les attentats survenus à Paris en 2015 semble définitivement enterrée. [MIGUEL MEDINA]
L'unité politique qui était de mise depuis les attentats survenus à Paris en 2015 semble définitivement enterrée. - [MIGUEL MEDINA]
Alors qu'après les attentats de 2015, presque tous les partis français avaient fait bloc autour du gouvernement, les dernières attaques semblent avoir définitivement mis à mal la cohésion politique.

Depuis l'attentat survenu dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, le gouvernement français n'a de cesse de répéter comme un mantra que les Français doivent être unis. Mardi, juste après l'attentat qui a coûté la vie à un prêtre dans une église de Saint-Etienne du Rouvray (nord-ouest), le président François Hollande a martelé que "la force" des Français tenait "à leur cohésion", les appelant à "être dans un bloc que personne ne doit pouvoir fissurer".

Mardi soir encore, il a répété, lors d'une allocution télévisée depuis l'Elysée, que les terroristes cherchaient à diviser. "Notre pays doit éviter les surenchères, les polémiques, les amalgames", a mis en garde le président français.

Extrait de l'allocution de François Hollande après l'attentat de l'église
Extrait de l'allocution de François Hollande après l'attentat de l'église / L'actu en vidéo / 1 min. / le 27 juillet 2016

Le message a été largement relayé par ses ministres.

Le rapport d'enquête a "brisé un tabou" pour l'opposition

Mais si les appels à l'unité avaient été relativement entendus dans le monde politique après les attaques de 2015, l'opposition ne semble plus du tout disposée à se ranger docilement derrière le gouvernement.

Pour le politologue français Thomas Guénolé (voir entretien en encadré), la sortie le 5 juillet du rapport Fenech sur la lutte contre le terrorisme - et les nombreuses failles qu'il a révélées - ont brisé un tabou qui prévalait depuis janvier 2015: "Il était quasiment impensable d'exprimer la moindre critique (...). Le rapport Fenech a ouvert la voie au fait que l'opposition fasse son travail, c'est à dire (...) exiger du gouvernement qu'il rende des comptes."

De fait, à peine quelques heures après l'attentat de Nice, de nombreuses voix ont commencé à fustiger l'impuissance des autorités. Le ministre de l'Intérieur a été happé dans une controverse sur la sécurisation de l’accès à la Promenade des Anglais, portée par Christian Estrosi, président Les Républicains (LR) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

>> Lire : La polémique enfle en France sur les failles sécuritaires à Nice le 14 juillet

D'autres élus ont proféré des critiques tout aussi acides. "Si tous les moyens avaient été pris, le drame n'aurait pas eu lieu", a ainsi tonné Alain Juppé, favori pour la primaire de droite en vue de la présidentielle du printemps prochain, alors même qu'il avait appelé à soutenir "ceux qui dirigent les affaires de la France" après les attentats du 13 novembre.

Les procès en incompétence se sont accompagnés de nombreuses propositions de la part d'élus LR, quasiment toutes inconstitutionnelles en l'état: "instauration d'un état d'urgence permanent" pour Eric Ciotti, instauration de l'état de siège pour Frédéric Lefebvre... Henri Guaino a pour sa part estimé que le carnage aurait pu être évité si "un militaire avec un lance-roquettes" avait été posté à l'entrée de la Promenade des Anglais.

Durcissement du discours après l'attaque de l'église

Les réactions qui s'enchaînent depuis l'attentat de mardi sont plus virulentes encore. Georges Fenech, le président de la commission d'enquête sur la lutte contre le terrorisme, reproche au gouvernement de ne pas l'écouter et "ne veut plus entendre parler d'union nationale".

Le président du MoDem centriste François Bayrou, qui avait déploré la polémique et appelé à éviter la récupération politicienne après l'attentat de Nice, semble avoir été gagné par la lassitude un peu moins de deux semaines plus tard.

A la mi-journée mardi, Nicolas Sarkozy a accusé François Hollande de mener une "action incomplète" contre le terrorisme. "Nous devons être impitoyables. Les arguties juridiques, les précautions, les prétextes à une action incomplète ne sont pas admissibles", a estimé l'ancien président, exigeant de son successeur qu'il applique "sans délai" "toutes les propositions que nous avons présentées depuis des mois".

L'ancien Premier ministre François Fillon a pour sa part dit ne pas vouloir "pleurer" mais "combattre".

Accents guerriers de l'extrême droite

L'extrême droite multiplie pour sa part les déclarations explicitement belliqueuses. Si la cheffe du Front national Marine Le Pen s'est bornée à pointer l'"immense" responsabilité de "tous ceux qui gouvernent depuis 30 ans", d'autres membres du parti utilisent délibérément un vocabulaire martial.

Une fracture au sein même du Parti socialiste

Thomas Guénolé relève qu'"il y a une fracture" au sein même du Parti socialiste, tiraillé entre une vision ultra-sécuritaire portée par le Premier ministre Manuel Valls et, à l'extrême inverse, le "noyau dur des frondeurs" qui ont voté contre la prolongation de l'état d'urgence à l'Assemblée, rompant ainsi les rangs de manière très claire.

Si l'on ajoute au contexte sécuritaire un climat socio-économique tendu et déchiré par le passage en force de la loi sur le Travail, François Hollande et son gouvernement n'ont jamais paru si isolés.

Pauline Turuban

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Pour le politologue français Thomas Guénolé, l'opposition est dans son rôle en réclamant des comptes

RTSinfo: L'unité nationale, c'est fini en France?

Thomas Guénolé: Il ne faut pas confondre unité nationale et unité politique. L'unité nationale, c'est le fait que la population dise unanimement non au terrorisme et à l'idéologie qu'il propage, à savoir l'islamisme intégriste. Cette unité nationale est toujours là. Ce qui a été brisé en revanche, c'est l'unité politique derrière le gouvernement. Il y a eu depuis le Bataclan une accumulation de révélations quant aux dysfonctionnements, aux carences matérielles et logistiques des services de renseignement, des polices et plus largement du ministère de l'Intérieur. Ces révélations ont été suivies de la sortie du rapport Fenech, quelques jours seulement avant l'attentat de Nice. Depuis Charlie Hebdo, c'était "silence dans les rangs": il était quasiment impensable d'exprimer la moindre critique envers nos polices et nos services de renseignement. Le rapport Fenech a brisé ce tabou et ouvert la voie au fait que l'opposition fasse son travail, c'est à dire interpeller le gouvernement et exiger qu'il rende des comptes sur son bilan.

RTSinfo: Si le gouvernement prône tant l'unité nationale, c'est donc pour ne pas avoir à se justifier selon vous
?

T. G.
: C'est beaucoup plus confortable pour lui. La réponse du gouvernement aux critiques est de dire qu'il "y en a assez des polémiques". Or, demander des comptes sur une éventuelle défaillance du dispositif de sécurité sur la Promenade des Anglais ce n'est pas de la polémique, c'est parfaitement légitime. On peut être en désaccord avec les propositions portées par l'opposition mais on ne peut pas lui enlever qu'elle fait son travail en exigeant de la transparence sur l'état réel du dispositif de sécurité. L'opposition n'est pas là pour dire "amen" à tout ce que fait le gouvernement à la seconde où le terrorisme est en cause.

RTSinfo: L'opposition n'est-elle pas tombée dans la surenchère de propositions de mesures anti-terroristes plus draconiennes les unes que les autres
?

T. G.
: Je distingue la légitimité de sa démarche et son contenu. Dans l'ensemble, cette accumulation de propositions de nouvelles mesures anti-terroristes, c'est n'importe quoi. Un fiché S, cela va d'un membre de la famille d'un terroriste jusqu'à quelqu'un dont on sait qu'il a été formé à poser des bombes en Syrie. Vu l'étendue de cet éventail, déclarer qu'il faut embastiller tous les fichés S est une sottise. Accessoirement, c'est attentatoire à un principe élémentaire d'un régime de démocratie libérale, qui est que tant que vous n'avez commis ni crime ni délit, vous n'avez pas à être mis en prison, a fortiori sans jugement. Il est déjà stupéfiant que des partis politiques proposent cette mesure; mais le fait qu'une très large majorité de la population la plébiscite, c'est particulièrement inquiétant.