Les médias face au défi du traitement des actes terroristes
- La recrudescence récente des attentats terroristes pose de nombreux défis à la pratique journalistique et conduit les plus grands médias à faire leur introspection. Que dire, que montrer, sans risquer de faire le jeu des attaquants, de porter atteinte à la mémoire des victimes ou, simplement, de travestir la vérité?
- Au fil du temps, des analyses et des critiques, les usages médiatiques évoluent pour s'adapter à cette nouvelle donne. Mais les nombreuses questions soulevées n'ont souvent pas de réponse évidente.
Eviter la "glorification posthume"
Des médias français choisissent d'anonymiser les auteurs d'attentats
Le 27 juillet, au lendemain de l'assassinat d'un prêtre en Normandie revendiqué par le groupe Etat islamique (EI), plusieurs médias français ont annoncé des changements éditoriaux destinés à éviter tout phénomène de "glorification posthume" des terroristes. La chaîne d'information en continu BFM-TV et le journal Le Monde, notamment, ont décidé de ne plus publier les photographies des auteurs des tueries.
Dans la foulée, des députés français de centre-droit ont déposé une proposition de loi visant à totalement interdire la diffusion des photographies et de l'identité des terroristes sur internet et dans les médias.
La question était latente en France au moins depuis l'attentat de Nice qui a fait 84 morts le 14 juillet. Une pétition avait été lancée après le drame pour demander aux médias de "cesser de diffuser l'identité des terroristes". La secrétaire d'Etat dédiée à l'aide aux victimes avait également annoncé le 21 juillet la création d'un groupe de travail chargé de "repenser l'éthique des médias" dans la couverture des attentats.
Daech a besoin de nos canaux de diffusion pour donner l'ampleur qu'il souhaite à ses actions.
Prônée par la commission d'enquête parlementaire de lutte contre le terrorisme, la mesure est également approuvée par d'éminents spécialistes de la psychologie humaine. Le psychanalyste tunisien Fethi Benslama, qui supervise le dispositif psychologique des centres de déradicalisation en France, a plaidé sur France Culture pour "un pacte" entre les médias, afin de "ne plus publier les noms et les images des auteurs" de ces actes.
Dans un entretien à Télérama, le psychiatre et anthropologue Richard Rechtman estime, lui, que "malgré tous ses relais sur les réseaux sociaux", l'EI a "besoin de nos canaux de diffusion pour donner l'ampleur qu'il souhaite à ses actions". Pour Richard Rechtman, l'information est dans le contexte actuel "un enjeu stratégique, pour ne pas dire militaire"; il considère à ce titre que "les informations dont nous disposons sur l'identité des auteurs d'attentats devraient être tenues secrètes".
Une auto-censure des médias dans le traitement des attentats pourrait favoriser déni et complotisme.
Plusieurs experts français du phénomène djihadiste ont toutefois fait part de leur scepticisme quant à cette mesure, dont ils redoutent qu'elle alimente les théories du complot.
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De fait, l'extrême droite y a tout de suite vu une forme de censure et la volonté de dissimuler au grand public des informations sur l'origine des auteurs d'attentats.
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La politique de RTSinfo
Entretien avec Nathalie Ducommun, rédactrice en chef adjointe de l'Actualité TV
"Notre politique est assez simple, elle s'en remet à la déontologie journalistique. (...) La question centrale c'est: 'est-ce qu'il est d'intérêt public de montrer ces terroristes ou de donner leur nom?' Quand on n'arrive pas à énoncer un intérêt public à donner l'identité d'un terroriste, on y renonce."
Le cas d'école
La couverture des attentats de janvier 2015 à Paris, un cas d'école
Le débat sur le traitement médiatique des actes terroristes a vraiment débuté avec les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher en janvier 2015 à Paris. La couverture médiatique de ces 54 heures - entre la tuerie à Charlie Hebdo et la fin de la prise d’otages à Vincennes, avec entre les deux le retranchement des frères Kouachi à Dammartin-en-Goële - avait suscité un flot de critiques.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), observatoire de l'audiovisuel en France, avait relevé 36 manquements lors de la couverture médiatique de ces événements. Sept chaînes de télévision et six radios avaient été concernées par des mises en garde ou demeure. Il leur était, entre autres, reproché d'avoir divulgué des éléments permettant l’identification des terroristes, d'avoir diffusé des images montrant un policier abattu, d'avoir entravé les opérations policières et d'avoir mis en danger la vie d'otages.
Le CSA a rendu le 27 juillet ses conclusions sur la couverture médiatique de l'attentat de Nice. A l'exception de l'émission spéciale de France 2, il a souligné n'avoir aucun reproche à faire au traitement réalisé par la plupart des médias.
Un piège médiatique?
Les terroristes nous tendent un "piège" médiatique
A chaque attentat, la machine médiatique internationale se met en route à plein régime. Une attaque n'est même pas encore revendiquée que de nombreux médias utilisent déjà tout le vocabulaire du terrorisme. Pour Asiem El-Difraoui, docteur en science politique et spécialiste de la propagande djihadiste, cela fait partie du "piège" que nous tendent les terroristes. Le professeur à Sciences Po Paris, relève qu'une corrélation directe peut être établie entre la médiatisation d'un attentat et la commission d'autres attaques.
Daech bénéficie aujourd'hui dans nos médias d'un espace publicitaire que des entreprises comme IBM ou Apple n'ont jamais eu les moyens d'acheter.
"Le terrorisme n'existerait pas dans sa forme actuelle sans sa médiatisation. (...) C'est très difficile de sortir de ce piège. (..) On ne peut pas ne pas parler des attentats, mais on peut discuter de la façon dont on en parle." Asiem El-Difraoui estime que "Daech bénéficie aujourd'hui dans nos médias" d'un "espace publicitaire" que "des entreprises comme IBM ou Apple n'ont jamais eu les moyens d'acheter".
Pour le chercheur, il ne faut pas nécessairement moins parler des attentats, mais en parler mieux, notamment avec de la contextualisation. "Certains médias relaient les menaces proférées dans les vidéos de propagande, mais il n'y a pas assez d'articles de fond sur ce qu'est le djihadisme ou la situation géopolitique. (...) Il faut décoder ce que ces gens nous disent et expliquer pourquoi le djihadisme existe."
Quelle terminologie pour quelle "pathologie"?
Les auteurs d'attentats sont-ils des "terroristes" ou "psychologiquement fragiles"?
Après les attaques qui ont touché la France et l'Allemagne, les médias et les politiques ont hésité entre les termes "terroriste" et "individu psychologiquement fragile".
"Le terrorisme implique une volonté de nuire, une préparation. Les individus radicalisés sont un terreau fertile composés de personnes fragilisées ou alors de personnes qui sont à l'anti-chambre de la psychiatrie", distingue Panteleimon Giannakopoulos, responsable médical de Curabilis, à Genève, interrogé dans l'émission Forum.
Que montrer de la violence et des victimes?
A chaque attentat, son débat sur la violence montrée
Malgré ses excuses publiques, France 2 fait face à de possibles sanctions de la part du CSA pour son édition spéciale très critiquée du 14 juillet dernier à Nice. La chaîne avait notamment diffusé l’interview d’un homme à côté du corps de sa femme.
D'une manière générale, la question de la représentation de la violence et des victimes est récurrente. A chaque attentat, des images de personnes blessées sont publiées, parfois sans floutage. Certains médias montrent en outre trop d'empressement pour recueillir des témoignages. Après les attaques à Bruxelles le 22 mars, le site belge Le Vif avait ainsi publié le témoignage d'une jeune Bruxelloise "dégoûtée" par le comportement de certains journalistes.
Nathalie Ducommun, rédactrice en chef adjointe de l'actualité télévisée à la RTS, souligne que les éditions spéciales, où les journalistes prennent l'antenne immédiatement et travaillent dans des conditions difficiles, accentuent le risque de "manque de distance" et de "dérapage".
Les risques liés à la répétition
A force de traiter de tels événements, certains médias perdent leur prudence
Katharina Niemeyer, maître de conférences à l'Institut français de presse et chercheuse en médias et communication, a noté une différence entre la couverture que les médias allemands ont faite des derniers attentats et celle des médias français.
D'une manière générale, note-t-elle, "quand son propre pays est touché, on a une autre manière de présenter les faits, liée à la proximité des événements. En ce qui concerne l'attentat de Nice (...) j'ai observé une grande différence dans la désignation: la France a tout de suite parlé d'attentat terroriste; en Allemagne, les médias ont été un peu plus prudents. A Nice on a été très vite dans le vocabulaire lié à Daech et au terrorisme."
La chercheuse souligne le risque d'amalgame à traiter de la même manière des attaques isolées et des attentats terroristes. "Les médias quels qu'ils soient sont très vite dans un vocabulaire auquel on s'habitue pour traiter les événements. On est dans un registre d'interprétation qui fait en sorte que le public ne peut pas tout de suite différencier les événements."
Deux poids, deux mesures?
Le nombre de victimes n'est pas le seul critère de traitement d'un événement
Certains attentats commis en Syrie ou en Afghanistan, par exemple, font de très nombreuses victimes et sont, pourtant, souvent moins traités. Comment ne pas tomber dans une couverture à géométrie variable?
Pour Nathalie Ducommun, le rôle des journalistes n'est pas de "faire un journal télévisé où s'enchaînent tous les actes de barbarie qu'il y a eu dans le monde", mais "d'apporter une plus-value, de pouvoir expliquer (un acte de barbarie) (...) et de pouvoir dire au téléspectateur en quoi cet acte est significatif, en quoi il révèle quelque chose de profond sur la société et l'état du monde."
Et de citer la "charge symbolique" de l'égorgement d'un prêtre en France: "Quand bien même une seule personne est décédée, cela mérite un décryptage."
Le rôle des médias
Pourquoi le travail des médias est nécessaire face au terrorisme
Pour Laurence Kaufmann, professeure à lʹInstitut des sciences sociales de lʹUniversité de Lausanne, lors d'attentats, "on a besoin du travail des médias, qui est multiple. C'est d'abord un travail de mise en récit, qui permet de mettre à distance l'horreur. On est tous pris dans des états de sidération, d'impuissance, et le travail narratif des médias est central." Par ailleurs selon elle, les médias jouent un rôle "thérapeutique", en permettant de "se rassembler autour d'émotions partagées".