Plusieurs communes françaises interdisent désormais le burkini sur les plages et les Suisses se préparent à voter sur l'interdiction de la burqa. Les pays anglo-saxons eux ne semblent pas concernés par ce débat. Pourquoi ces différences? Explication avec Hanna Woodhead, assistante de recherche à la faculté de théologie de Genève.
RTS: Dans une ville comme Londres il n'est pas rare de croiser des femmes intégralement voilées sans que cela ne provoque de polémique nationale. Hanna Woodhead*, comment est-ce que vous expliquez cette différence d'approche entre le monde anglo-saxon et un pays comme la France par exemple?
Hanna Woodhead: "La France est très particulière, puisqu'elle a un modèle d'intégration qui est très assimilationniste, où l'Etat moderne français s'est construit en essayant de gommer tous les particularismes linguistiques et régionaux, afin de créer une unité nationale. Cette dernière repose sur l'idée que l'individu doit être neutre par rapport à cette nation.
Sur le plan privé, le citoyen peut être qui il veut, mais dans le public, il doit rester neutre, sans particularisme. Ce n'est pas le cas en Angleterre ou aux Etats-Unis, où l'on peut avoir plusieurs identités qui cohabitent pour une même personne. Cette personne peut s'en prévaloir et peut utiliser cela dans son existence publique."
RTS: Manuel Valls a affirmé ce matin dans le quotidien la Provence que "le Bukini est un projet politique de contre-société". Les anglo-saxons, eux, n'ont pas du tout cette vision, ils voient le Burkini ou le voile intégral comme un simple vêtement?
Hanna Woodhead: "Tout le monde n'est pas forcément d'accord chez les anglo-saxons, mais globalement, il est attendu que les gens, s'ils ont une foi personnelle, puissent la vivre et s'habiller selon les préceptes de leur religion. Pour eux, être un bon citoyen va passer par autre chose. On peut tout à fait être un bon Américain et porter un voile, ou être un bon Anglais et être un policier Sikh. Dans plusieurs villes du Royaume-Uni, la police britannique a même dessiné pour leurs uniformes des turbans pour les hommes Sikh ou des voiles pour les femmes musulmanes, permettant à la police d'être plus diverse."
RTS: Les Français n'ont-ils pas raison de redouter des dérives communautaristes et de voir dans ces usages vestimentaires de plus en plus fréquents, le signe de ces dérives?
Hanna Woodhead: "Je pense que ce qui dérange les Français, peuple particulièrement laïc et peu religieux à l'échelle mondiale, c'est la présence du religieux tout court. Là où d'autres religions comme le christianisme ont la "chance" de passer inaperçues – un Chrétien, même très conservateur, très fondamentaliste, passera globalement inaperçu –, un musulman qui est très pratiquant peut être plus visible.
Pour un nombre grandissant de femmes qui veulent vivre leur foi de façon affirmée et pour qui la pudeur vestimentaire est quelque chose d'important, c'est difficilement négociable de se montrer en bikini. Cela, les Français ont extrêmement de mal à le comprendre."
RTS: A quelle tradition se rattache la Suisse?
Hanna Woodhead: "La Suisse est différente de la France et se rapprocherait peut-être un peu plus des Etats-Unis, car elle est habituée à devoir gérer un pluralisme et une diversité, notamment religieuse, depuis très longtemps. Cela fait des siècles qu'il y a autant de protestants que de catholiques. Le pays s'est construit avec l'idée qu'il fallait faire vivre ensemble et trouver des accords et des compromis raisonnables, là où la France, finalement n'a eu que de très petites minorités, qu'elles soient chrétiennes ou juives."
*Hanna Woodhead est assistante de recherche à la faculté de théologie de Genève et préparer une thèse consacrée aux vêtements que l'on qualifie de pudiques ou de modestes.
fme