La campagne militaire turque "Bouclier de l'Euphrate" a alimenté les accrochages entre les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) - appuyés par l'armée turque - et les Forces démocratiques syriennes (FDS), coalition à majorité kurde et principal partenaire anti-EI des Etats-Unis sur le terrain (voir encadré "Les forces en présence")
Vendredi encore, le président turc Recep Tayyip Erdogan a assuré que les combattants kurdes ne s'étaient pas retirés à l'est du fleuve Euphrate dans le nord de la Syrie, comme il l'exige depuis son intervention directe en Syrie.
Professeur assistant en Relations internationales à l'université Kadir Has d'Istanbul, Akin Unver revient sur la situation et les motivations turques.
RTSinfo.ch: Quel est le but de l'opération militaire turque actuelle en Syrie?
Akin Unver: Il existe deux objectifs. D'un côté empêcher que les Forces démocratiques syriennes (FDS) ne s'enracinent à l'est de l'Euphrate, de l'autre éviter que les territoires kurdes ne forment une ceinture continue le long de la frontière turque. De manière générale, la Turquie cherche à stabiliser sa frontière avec la Syrie. Cela peut ressembler à une stratégie opposée aux intérêts kurdes, mais elle permet aussi l'établissement à long terme d'une zone kurde à l'est du fleuve.
RTSinfo.ch: Officiellement, l'opération vise tous les "terroristes". Mais, jusqu'à présent, les forces kurdes ont principalement été visées alors que le groupe EI a fui les combats. Comment expliquez-vous cette situation?
Akin Unver: La Turquie définit le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) comme une organisation terroriste et estime que les FDS sont une extension des YPG (Unités de protection du peuple kurde), elles-mêmes une extension du PKK. Il n'est donc pas étonnant de voir le gouvernement turc classifier les FDS comme tel.
Concernant le groupe EI, il est difficile de savoir pourquoi ses combattants ont fui Jarablos (avant l'arrivée des forces turques, ndlr). Il ne faut pas oublier que l'opération vient de commencer et que l'on ne sait pas comment vont réagir les différentes parties à mesure que l'opération progresse.
Chaque groupe ne devrait pas déborder de ses limites ethnographiques. C'est la seule solution soutenable pour le nord de la Syrie.
RTSinfo.ch: Cette opération a provoqué des combats entre deux forces soutenues par les Etats-Unis: les rebelles dits modérés de l'Armée syrienne libre (ASL) et les FDS. Pensez-vous que les Etats-Unis vont, ou devraient intervenir?
Akin Unver: La politique américaine devrait faire en sorte que chaque groupe ne déborde pas de ses limites ethnographiques. L'ASL devrait contrôler les territoires arabes et sunnites, et les YPG les territoires kurdes. C'est la seule solution soutenable pour le nord de la Syrie.
RTSinfo.ch: Le gouvernement turc a toujours averti qu'il ne permettrait pas que les militants kurdes s'installent à l'ouest de l'Euphrate. Cette région n'a jamais été kurde?
Akin Unver: Démographiquement, la région à l'ouest de l'Euphrate, entre Azaz et Jarablos, est habitée par des arabes sunnites. La crainte turque est de voir les forces kurdes s'y installer et déstabiliser cette partie de la frontière. C'est la raison pour laquelle la Turquie tient à ce que les forces arabes et sunnites qu'elle soutient contrôlent Minbej et sa région, et établir ainsi une frontière naturelle avec les Kurdes le long de l'Euphrate.
La composante arabe des FDS est largement proche des Etats-Unis, tout comme les rebelles de l'ASL. Leur principale distinction est le penchant pro-kurde des uns, et le penchant pro-turc des autres.
RTSinfo.ch: Il existe une composante arabe locale dans la coalition des FDS, quelle est la différence avec les rebelles soutenus par la Turquie?
Akin Unver: La différence est difficile à esquisser. Si vous chassez le groupe EI - une force arabe sunnite - vous devez la remplacer par une autre force arabe sunnite. Comment choisir? La composante arabe des FDS est proche des Etats-Unis, tout comme les rebelles de l'ASL. La principale distinction est le penchant pro-kurde des uns, et le penchant pro-turc des autres. Cela devient donc une rivalité Turquie/YPG pour le contrôle des zones arabes à l'ouest de l'Euphrate.
Propos recueillis par Marc Renfer
Les forces en présence en Syrie
La complexité du conflit syrien s'explique en partie par la multiplication des belligérants, les interventions étrangères et - surtout - les innombrables relations entre combattants.
La Turquie, dont le but au début du soulèvement syrien était de faire tomber le régime de Bachar al-Assad, soutient les rebelles de l'Armée syrienne libre. C'est sur ces derniers qu'elle compte pour limiter l'avancée de la coalition à majorité kurde des Forces démocratiques syriennes, soutenue par les Etats-Unis.
Les forces se battant en Syrie peuvent se résumer en quatre camps: le groupe EI, le régime syrien, les rebelles syriens allant de forces modérées à des djihadistes et les forces kurdes.
Mis à part l'EI, qui s'oppose à la totalité des forces présentes, les relations des autres groupes - un réseau complexe d'alliances et d'animosités - illustrent la situation sur le terrain.
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