Une offensive sans concession à Alep
Devenue le symbole du désastre syrien, Alep focalise les préoccupations internationales. L'ex-capitale économique du pays est écartelée depuis 2012 entre ses quartiers ouest, contrôlés par le régime de Damas, et les quartiers est, tenus par les insurgés. Quelque 250'000 personnes y sont assiégées depuis deux mois par l'armée syrienne et ses alliés, qui ont resserré leur emprise ces dernières semaines.
Depuis le 19 septembre, jour de la fin de la trêve, les raids y ont causé des dégâts sans précédent et fait des dizaines de victimes. Mardi, les forces pro-gouvernementales syriennes, soutenues par la Russie, ont lancé une vaste offensive terrestre à Alep-Est, avec l'objectif sans concession de reprendre l'intégralité de la ville. Damas y voit le moyen de s'offrir une victoire symbolique dans l'un des derniers grands bastions urbains de l'insurrection, qui pourrait marquer un tournant dans la guerre.
Les civils pris pour cibles
A Alep, les conditions sanitaires sont calamiteuses. Privés d'eau depuis samedi après la destruction d'une station de pompage, les habitants des quartiers rebelles manquent de tout. D'après l'ONU, les rations alimentaires disponibles ne couvrent les besoins que d'un quart de la population et des "centaines" de personnes ont besoin d'être évacuées pour des raisons médicales.
Selon une association de médecins syriens (SAMS), seuls 30 médecins se trouvent encore dans les quartiers est d'Alep. Mercredi, le bombardement -vraisemblablement délibéré- de deux hôpitaux a réduit à 6 le nombre d'établissements de soins encore en activité.
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Cette attaque a conduit la communauté internationale à parler de crimes de guerre. Selon l'ONU, l'armée syrienne fait usage d'armes sophistiquées contre des zones densément peuplées, ce que le droit international interdit. L'organisation parle notamment de bombes incendiaires et de bombes conçues pour détruire les bunkers, normalement destinées aux cibles militaires.
La diplomatie occidentale en échec
De laborieuses négociations entre le secrétaire d'État américain John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov avaient abouti à l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu en Syrie le 12 septembre.
Une semaine presque heure pour heure après le début de la trêve, le 19 septembre, l'armée syrienne a brisé le silence des armes par une pluie de bombes sur Alep. Le bombardement d'un convoi humanitaire, notamment, a fait une vingtaine de morts.
Une première réunion internationale, le 22 septembre à New York, n'a pas permis de sauver le cessez-le-feu. Dépassé par la rapidité de ce regain de violence, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est à nouveau rassemblé le 25 septembre. Loin de faire un pas dans le sens d'un arrêt des frappes, cette réunion a surtout servi de théâtre aux invectives.
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Les Occidentaux reprochent à la Russie son cynisme et l'accusent d'être responsable de la rupture de la trêve. Les Etats-Unis ont menacé Moscou de cesser toute coopération, mais le Kremlin a réaffirmé son intention de poursuivre les raids.
Les négociations, un "écran de fumée" pour la Russie?
En Syrie, la Russie dispose d'une base aérienne à Hmeïmim, dans le fief alaouite de Bachar el-Assad près de Lattaquié (nord-ouest), ainsi que d'installations portuaires militaires à Tartous.
La campagne de raids aériens russes a débuté il y a un an, le 30 septembre 2015. Pour ses premiers bombardements, Moscou affirmait viser le groupe Etat islamique (EI) mais, très vite, les rebelles syriens et leurs soutiens l'ont accusé de cibler avant tout des groupes non djihadistes pour prêter main forte à l'armée syrienne.
Si la Russie soutient Bachar el-Assad depuis le début, leurs relations n'ont jamais été aussi proches qu'aujourd'hui, ce qui se traduit par un usage irréfréné de la force. Le 21 septembre, Moscou a annoncé le déploiement de son unique porte-avions, Amiral Kouznetsov, dans l'est de la Méditerranée. Depuis jeudi, les avions russes matraquent Alep avec une intensité inédite.
"Les négociations avec les Américains ont fait office d'écran de fumée pour gagner du temps et préparer l'étape suivante des opérations militaires. Pour (les alliés du régime syrien), la diplomatie est la poursuite de la guerre par d'autres moyens", estime Thomas Pierret, expert de la Syrie à l'Université d'Edimbourg, cité par l'AFP.
Les autres forces impliquées dans le conflit
La complexité du conflit syrien s'explique en partie par la multiplication des belligérants, les interventions étrangères et - surtout - les innombrables relations entre combattants.
Mis à part le groupe Etat islamique (EI), qui s'oppose à la totalité des forces présentes, les relations des autres groupes - un réseau complexe d'alliances et d'animosités - illustrent la situation sur le terrain.
Un bilan qui ne cesse de s'alourdir
Le 13 septembre, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a rendu publique son estimation des victimes du conflit syrien depuis son déclenchement en mars 2011. Verdict: au moins 301'781 dont 86'692 civils. Ces chiffres ont été arrêtés au 12 septembre. Plus de 3800 civils ont été tués et 20'000 blessés par l'aviation russe en Syrie depuis le début, il y a un an, de son aide à Damas, a encore précisé l'ONG fin septembre.
Depuis la fin de la trêve, le bilan du conflit s'est encore alourdi d'au moins 280 morts et 400 blessés dans la région d'Alep, selon une association de médecins syriens (SAMS).
Le conflit a aussi poussé quelque 4 millions de Syriens à l'exil. Selon les chiffres compilés par l'Office européen de la statistique européen Eurostat, au moins 776'000 primo-demandes d'asile ont été déposées depuis 2010 dans l'UE, en Norvège et en Suisse par des ressortissants syriens. De 7330 en 2011, leur nombre a bondi de manière exponentielle à près de 378'000 en 2015, une tendance qui se poursuit depuis le début 2016.
L'Allemagne concentre la grande majorité des demandes (près de 158'700 en 2015, 380'000 depuis 2010) suivie de la Suède (50'900 en 2015, 109'600 depuis 2010).
Les pays limitrophes de la Syrie restent toutefois de loin les plus impactés. Au 31 juillet 2016 cinq pays, la Turquie, l'Egypte, l'Irak, le Liban et la Jordanie, accueillaient plusieurs millions de Syriens.
ptur avec agences