"Comptes en Suisse", "fausses factures", "caisse noire": tels sont quelques-uns des ingrédients de "l'affaire Gürtel", qui conduit pour la première fois au banc des accusés deux ex-trésoriers du Parti populaire (PP) du chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy.
"Voleurs"! "Chorizos!" ont crié à leur arrivée des manifestants, comme au passage des 35 autres prévenus présumés impliqués dans un vaste réseau de détournement de fonds publics portant sur des dizaines de millions d'euros entre 1999 et 2005.
Le parti lui-même - présidé depuis 2004 par Mariano Rajoy - n'est pas jugé pénalement car le délit de financement illégal de parti n'existe que depuis 2015. Il est toutefois mis en cause pour sa responsabilité civile en tant que "bénéficiaire" de fonds obtenus illégalement par des maires PP.
Des dizaines de millions cachés en Suisse
Dans le hall de l'Audience nationale, nom donné au tribunal chargé des affaires politico-financières, un des principaux accusés reste Luis Barcenas, ancien trésorier du PP de 1988 jusqu'à sa démission en 2009, accusé entre autres d'avoir dissimulé des dizaines de millions d'euros en Suisse, ce qui a poussé le Ministère public genevois à ouvrir une enquête en 2013.
Lire >> Les secrets des fonds suisses de l’ex-trésorier du Parti Populaire espagnol
L'enquête espagnole dépend en grande partie de la documentation bancaire envoyée par la Suisse dans le cadre de commissions rogatoires, dont l'utilisation est combattue par la défense. Au total, près de 50 millions d'euros sont bloqués sur des comptes helvétiques.
Procès parallèle pour Rodrigo Rato
Les anciens élus du PP ont pu croiser mardi un ancien pilier de leur parti: Rodrigo Rato - ex-président du Fonds monétaire international, ex-ministre de l'Economie - jugé dans une salle voisine comme présumé responsable d'un système de détournement de fonds publics entre 2010 et 2012.
S'il a perdu sa majorité absolue en décembre, le PP reste le premier parti d'Espagne. Après neuf mois de paralysie politique, Mariano Rajoy espère profiter de la crise au sein du Parti socialiste pour pouvoir, finalement, former un nouveau cabinet.
mre avec afp
Commissions de 3% sur des contrats publics
Le principal prévenu, l'homme d'affaires Francisco Correa - qui aimait autrefois se faire surnommer "don Vito" comme le mafieux du film "Le parrain" - est accusé d'avoir, entre 1999 et 2005, arrosé de pots-de-vin des élus du PP.
En échange, ses entreprises ou celles de ses amis se voyaient attribuer des contrats de travaux publics ou l'organisation d'événements d'envergure, telle la visite en 2006 du pape Benoît XVI à Valence, à des tarifs "bien supérieurs" à ceux des autres sociétés du secteur, selon l'accusation. L'enquête a d'ailleurs pris le nom de "Gürtel", traduction en allemand de l'espagnol "correa", "sangle" en français.
Le journal d'investigation eldiario.es avait publié en 2015 une "confession" de Francisco Correa. Il assurait que des chefs d'entreprises lui versaient "une commission de 2 à 3%" sur le montant des contrats publics attribués, qu'il remettait "en liquide" au trésorier du PP Luis Barcenas après avoir prélevé sa part.
Le réseau agissait dans les régions de Valence, Castille-et-Léon et Madrid y compris dans la capitale, et deux villes voisines - Pozuelo de Alarcon et Majadahonda - et la station balnéaire andalouse d'Estepona.