Renaud Dumesnil parcourt les Etats-Unis de la frontière mexicaine à la frontière canadienne. Un road trip de plusieurs semaines pour raconter l'impact de l'immigration au coeur de l'Amérique.
Le long de l'Interstate 35 qui travers le pays du Sud au Nord, nous vous emmenons dans ce récit fait de textes, de photos et de vidéos, à la rencontre de ceux qui peuplent l'Amérique d'aujourd'hui, à l'heure où ce pays d'accueil connaît une mutation sans précédent de sa démographie.
Un voyage que l'on peut résumer par une question: Qu'est-ce que devenir Américain aujourd'hui?
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Nous avons posé à ceux que nous avons rencontré une question simple: que signifie pour eux être Américain? Qu'ils le soient ou non, ils ont répondu.
5000 kilomètres en une minute
27 octobre - La fin du voyage
L'aventure de cette série a commencé à Laredo, une ville frontière mexicaine à 98%. Nous la terminons à Duluth, une ville blanche à 90%. Trois semaines, 6 Etats, et 3001 miles -ça ne s'invente pas- plus tard, nous en savons un peu plus sur cette immigration qui change et trouble l'Amérique.
Attentes de l'autre
Avant d'être un thème politique lourd de sens, la réalité de l'immigration c'est d'abord le rapport à l'autre. Ce que l'Américain nous dit attendre du nouvel arrivant se limite souvent à de la simple politesse. Ce sont des histoires de voisinage comme ailleurs sur le globe. Mais si l'on traduit, ces citoyens (ou immigrés) de longue date demandent des efforts aux entrants: de mieux parler l'anglais, de plus s'engager dans la société... De leur côté, les immigrés voudraient être reconnus pour ce qu'ils apportent: le travail souvent acharné qu'ils produisent, les quartiers abandonnés auxquels ils redonnent vie.
Après, il y a la politique. Donald Trump a surfé sur l'idée tenace que l'immigré prend le travail d'un Américain. Si les experts martèlent que ce n'est pas vrai, bonne chance pour convaincre ces citoyens blancs qui ont vu les sans papiers débarquer dans leur secteur et les salaires baisser d'un tiers les années suivantes. Ceux-là continueront de rejeter les candidats politiques traditionnels.
Une Amérique toujours fascinante
Mais sur notre route, nous avons aussi rencontré beaucoup d'exemples qui marchent. Des villes et des banlieues se redessinent, des quartiers retrouvent vie, grâce à des municipalités et des groupes d'immigrés volontaires. Et l'Amérique fascine toujours autant quand des initiatives individuelles arrivent à déplacer des montagnes. Un riche businessman ou un jeune entrepreneur n'attendent pas l'aval (et encore moins les subsides) d'une ville ou du gouvernement pour lancer un projet qui touche ou inclut les immigrés de façon positive.
Durant ce voyage nous avons vu cette Amérique osciller entre anxiété et optimisme, créer des ponts entre les communautés ou regarder vers le passé, embrasser la diversité ou réclamer plus d'assimilation. Inquiets ou confiants, nous avons en tout cas croisé des Américains et des immigrés concernés par le "vivre ensemble" et par l'avenir de ce pays bousculé, mais en mouvement.
Hazel, émigrée potentielle
Après trois semaines de route, je n'avais prévu aucune interview pour ce dernier jour afin de laisser le sort choisir le dernier interlocuteur du voyage. Et nous sommes tombés sur Hazel. Elle travaille au port de Duluth depuis quelques mois. Débarquant de l'Etat du Nouveau Mexique, on sent que son déménagement sur la frontière canadienne a été un choc culturel. Toute proportion gardée, elle décrit ce qu'un immigré peut ressentir a son arrivée.
Donc, pour terminer notre série sur l'immigration, nous avons ce simple témoignage d'une Américaine qui a fait à peu près le même trajet que nous, passant du Sud et Nord, d'une région de mixité à une ville presque exclusivement blanche et aux repères culturels bien ancrés. Regardez l'interview, vous verrez qu'Hazel est prête à devenir, elle aussi, une migrante. La boucle est bouclée.
26 octobre - Devenir Américain
La frontière canadienne se rapproche et Minneapolis est notre dernière grande étape. Trouver des interlocuteurs intéressants et des situations différentes à chacune de nos haltes n'a pas été simple, mais avec cet emboîtement intrigant de préparation et de chance qui fait le sel de tout reportage, les histoires se sont succédées quotidiennement depuis près de trois semaines. Mais depuis hier rien ne va plus à Minneapolis. Un congressman nous fait faux bond, le leader de la communauté somalienne est introuvable et aucune alternative ne colle à cette fin de périple que j'imaginais un peu plus flamboyante. La route défile, et le téléphone sonne. C'est Jack qui, de New York, m'aide à chercher les bons angles et les personnages à chaque étape. "C'est bon" dit-il. Bon quoi? "On peut filmer la cérémonie de naturalisation à Minneapolis."
M'était complètement sorti de l'esprit que nous avions fait cette demande tellement il était invraisemblable que l'une de ces cérémonies se trouve sur notre route, à fortiori à la fin de notre périple, et encore plus improbable que le gouvernement accepte qu'on la filme... God bless America.
Une cérémonie de naturalisation à Minneapolis:
25 octobre - Réfugiés
Débarquer à l'église luthérienne Zion un mercredi soir c'est être parachuté sur la tour de Babel. Les jeunes réfugiés qui s'y retrouvent pour des cours d'anglais viennent des pays arabes, d'Afrique et d'Asie du Sud-Est. "12 langues!" annonce fièrement John Kline, le pasteur infatigable de cette congrégation. Son accueil des tous les réfugiés qui se présentent n'a pas plu à tous les paroissiens. Beaucoup sont partis devant ce qui semble à certains donner la priorité aux étrangers.
Le gouverneur Républicain de l'Iowa est contre l'accueil des réfugiés. Mais deux organisations ont fait venir près de 500 d'entre eux depuis un an avec l'aval de Washington (toujours l'écheveau: Etats contre Etat fédéral).
Filles dénudées et alcool partout
Les Syriens et autres réfugiés du Moyen-Orient viennent au compte goûte, la menace terroriste brandie par les conservateurs a fermé les vannes. Mais détail amusant, les exilés arabes préfèrent trouver asile dans d'autres pays tant l'image de l'Amérique est notoirement négative. Karim, un Irakien devenu Américain qui aide les réfugiés à s'installer à Des Moines raconte ça à sa manière: "Ils pensent qu'ils vont se faire tuer dans la rue. Ils croient que c'est plein de filles dénudées et qu'il y a de l'alcool partout. Mais quand ils arrivent, ils ne voient que des voitures et des gens qui travaillent, ils sont même surpris de ne voir personne traîner dans les rues comme chez eux. Alors ils appellent leurs proches restés au pays et leur disent: finalement c'est pas mal les Etats-Unis!"
Soirée à l'église luthérienne Zion de Des Moines:
24 octobre - Success Story
Avec son sourire accroché aux lèvres et son style décontracté, Tej Dhawan n'a pas l'allure du grand businessman quand il sort de sa petite Prius blanche. Pourtant, investi ou consultant dans 35 sociétés, cet Indien Américain est l'une des stars des start-up dans la région de Des Moines.
Pas la peine de lui demander ce qui ne va pas aux États-Unis, Tej voit tout en rose. Il faut dire que depuis qu'il a mis le pied dans l'Iowa il y a près de 30 ans, tout lui réussit. De bonnes études lui ouvrent les portes de grosses sociétés et le mariage celles de la citoyenneté. La suite est une succession de rencontres opportunes qu'il pense qu'elles ne se seraient pas offertes à lui dans une grande agglomération type New York ou LA. Une ville à taille humaine, l'entraide communautaire, une chambre de commerce et des associations ouvertes aux initiatives des minorités, voilà une des recettes du succès que rencontrent toujours plus d'immigrés diplômés aux US.
Mais assez discuté, Tej doit nous laisser. Un rendez vous boulot? Non, un cours de de fitness!
Tej rencontre son ami Kalyan qu'il conseille dans ses affaires. Kalyan est lui aussi originaire d'Inde.
22 octobre - On the road
Y a-t-il un pays dans le monde où la route ait pris une signification aussi importante qu’aux Etats-Unis? L'identité américaine passe par "la route". Après deux semaines de voyage, elle n'est plus une voie pour véhicules mais renvoie à des images culturelles: l'histoire, la conquête, la liberté, le commerce, la mobilité...
Mais pour tout dire, la route américaine est aussi une ligne de fuite fatigante où les notions de temps et d'espace se floutent, faisant place à un tourbillon d'images, de lumières et de courbes. C'est un sentiment partagé par les routiers à qui nous avons parlé dans ces "truck stops" où les chauffeurs se reposent après 11 heures obligatoires au volant. Et d'ailleurs pourquoi ne pas laisser la parole à l'un d'entre eux...
21 octobre - Missouri: le sport, moteur de mixité
Sur le parking, les joueurs mexicains ont sorti les chaises pliables et les bières. Autour, c'est un ballet de 4x4 clinquants et de bagnoles délabrées d'où s'extirpent parents ou grands parents suivis d'une marmaille en shorts. Toutes les couleurs de la planète semblent s'être données rendez vous devant dans cet entrepôt sous le panneau "Soccer Nation", dont le nom mériterait d'être changé en "Soccer United Nations".
Dans ce temple du foot périurbain qui compte 3000 adhérents, un petit homme rondelet s'agite et parle à tout le monde en alternant l'anglais et l'espagnol, c'est Raul. Au Mexique, il lavait les voitures dans la rue à l'âge de 8 ans. Après quelques décennies et aventures dont on fait les romans, le voilà bardé du titre de meilleur entrepreneur hispanique de l'année.
Sous les drapeaux du monde entier qu'il a tenu à accrocher au-dessus des deux pelouses synthétiques, les équipes sont formées de joueurs du même pays d'origine. "Comme tout le monde joue pour son pays, c'est une coupe du monde à chaque match" dit Raul.
On aurait pu en rester à un lieu exclusivement fréquenté par les latinos mais le foot connaît une popularité grandissante dans le Midwest, notamment chez les blancs. Et le système (encore balbutiant) de championnat fait venir des joueurs de tous les horizons et classes sociales...
20 octobre - Missouri: changements démographiques
C'est un immense potager encerclé de logements sociaux au nord de Kansas City. De nouveaux immigrés venus d'Asie du Sud-Est ont le droit d'y cultiver un lopin de terre. Une association leur prête ce lieu pour qu'ils puissent gagner un peu d'argent en attendant de mieux parler anglais ou trouver un premier emploi. Mais la possibilité de vendre les fruits et légumes qu'ils cultivent a rendu ce quartier attractif (leur parcelle peut rapporter jusqu'à 1000 dollars par mois). Le loyer des logements étant très bas, des asiatiques viennent y habiter.
Dans ce cas d'école, les hispaniques déménagent un peu plus loin dans les quartiers que les noirs essaient de quitter pour aller dans les quartiers de classe moyenne que les blancs délaissent pour les quartiers plus huppés quand leur statut économique le permet.
Ici comme ailleurs aux Etats-Unis, l'extraordinaire mobilité sociale se fait le long de lignes ethniques et remodèle les quartiers.
Mister Sam, qui s'occupe du potager, décrit les changements démographiques de son quartier.
19 octobre - Topeka, capitale du Kansas: Trump décodé
Donald Trump est devenu inaudible. A force de gesticulations, il est tout simplement passé à côté des thèmes de sa propre campagne. Pourtant derrière ses saillies sur l'immigration, il y a des idées défendues depuis longtemps par le parti Républicain.
Kris Kobach
S'il était élu, Trump nommerait sûrement Kris Kobach a un poste important. Passé par les plus grandes écoles, ce juriste actuellement secrétaire d'Etat du Kansas, est l'architecte discret des lois les plus répressives sur l'immigration aux États-Unis. Écoutez-le bien, outre un décodage de ce que Trump n'a jamais réussi à formuler, vous verrez que, même si la situation est différente, les inquiétudes de la droite américaine ressemblent aujourd'hui à celles de nos droites européennes.
18 octobre - Kansas City: l'Amérique de Trump et l'immigration
Cafés italiens, restaurants asiatiques, bars latinos... Depuis le début du voyage, nous nous arrêtons, selon l'humeur, dans les lieux qui font vivre ce métissage américain. Mais quand nous sortons de ces quartiers d'immigrés, nous retrouvons "Main street" (la rue principale) et cette Amérique blanche, besogneuse et sans diplôme, qui ne comprend pas l'indécision de l'exécutif face à l'immigration. Une frustration que l'on sent décuplée par le chiffre de 11 millions de sans papiers et une perte de pouvoir d'achat notable.
Les Trumpistes
On ne peut pas passer outre cette Amérique qui nous dit jour après jour que Trump la représente. Le candidat a délié les langues. Voici donc un florilège non exhaustif sur la question des étrangers offert par deux brocanteurs qui travaillent sur un marché fréquenté... par de nombreux immigrés.
17 octobre - Kansas City: diversité
Voir une ville affleurer à l'horizon quand les immeubles de downtown rougeoient dans la lumière rasante du soir... C'est une de mes visions préférées du road trip américain. Surtout quand on sait que cette ville est plus animée et diversifiée que celles traversées les jours précédents.
Kansas City n'est pas une "grande" ville d'immigration (8%), elle n'a pas de quartier chinois ou italien comme on en trouve dans d'autres grandes villes, mais la diversité se fait immédiatement sentir. L'arrivée d'hispaniques et d'asiatiques est ici en progression constante.
Un marché métissé
Le City Market, un marché de produits locaux ouvert à toutes les ethnies, est le meilleur exemple de la volonté de Kansas City de mélanger ses habitants.
16 octobre - Oklahoma: Immigration et politique II/II
Les miles défilent, les paysages changent. Les premiers rochers ont surgi de la route nous faisant réaliser que nous n'avons pas vu une colline depuis la frontière mexicaine. Moins de "strip malls" (commerces le long des grands axes), plus de fermes. Nous entrons dans le grenier de l'Amérique.
Nous entrons aussi dans le vif du sujet. L'Oklahoma a relativement peu d'immigrés (6%) mais on ne leur déroule pas le tapis rouge et l'intégration, si elle existe, se fait par le travail. Pour bosser ils sont les bienvenus... Les immigrés ont clairement fait baisser le coût de la main d'œuvre. Si un ouvrier gagnait l'équivalent de 18 dollars de l'heure dans les années 80, il en gagne aujourd'hui 12.
Devant cette utilisation mercantile de l'immigration, une frustration est née chez certains leaders qui attendent plus de cet État.
Si se puede
Jose Solis est un activiste qui veut amener les hispaniques sur le devant de la scène politique. Comment? En monnayant le vote de cette minorité contre des soutiens politiques, en bref en faire un groupe d'intérêt.
15 octobre - Oklahoma: Immigration et politique I/II
En traversant l'immense Texas, nous avons entendu des histoires personnelles, rencontré ces immigrés et citoyens directement concernés par les conséquences de l'immigration. Mais il semble qu'il y ait un fossé entre ces habitants ou les associations qui les représentent, et les décideurs politiques.
Cette impression s'est renforcée en arrivant dans l'Oklahoma, un État solidement Républicain contrôlé par une majorité blanche moins versée dans la mixité que le Texas voisin.
Bienvenue dans le Midwest.
Une sénatrice pour les droits des immigrés
Nous avons accompagné deux représentants d'associations d'immigrés lors de leurs rencontre avec la sénatrice Démocrate Anastasia Pittman. Elle est l'une des rares élues de l'Etat de l'Oklahoma à s'intéresser à l'intégration des populations immigrées.
14 octobre - Au nord de Dallas: Sans-papiers
Il y a quelques années, la municipalité de Farmers Branch, au nord de Dallas, a demandé aux propriétaires d'exiger de leurs locataires immigrés une preuve de la légalité de leur présence sur le territoire américain. L'affaire est allée devant la Cour suprême qui a rejeté cette initiative locale et condamné la ville à des millions de dollars d'amende pour avoir voulu prendre les lois d'accueil des immigrés à son compte.
Cet exemple rappelle qu'aux Etats-Unis, les lois locales et fédérales s'entremêlent souvent et compliquent l'imbroglio juridique posé par les 12 millions de sans papiers.
Tant bien que mal, ces immigrés illégaux ont pu se faire une petite place sans aucun document. Ils travaillent au noir, souvent très dur. Ils se débrouillent pour acheter des voitures (en passant par des parents ou des amis) et peuvent louer des appartements. La plupart ont des enfants nés aux Etats-Unis et qui sont donc... citoyens américains.
Ces illégaux ne sont pas "recherchés" par les autorités mais la règle est de vivre le plus discrètement possible de peur qu'un écart avec la loi ou un simple contrôle d'identité leur coûte une déportation immédiate.
Un quartier de sans-papiers
Farmers Branch est une ville dans la grande banlieue de Dallas où habitent un grand nombre d'immigrés illégaux. Ils parlent peu ou pas anglais et ne veulent surtout pas parler à des journalistes. Un jeune témoigne.
13 octobre - Dallas: Les "dreamers"
Ils sont nés ou arrivés très jeunes aux Etats-Unis mais ils sont sans papiers. Leurs parents étant entrés illégalement sur le sol américain, ces jeunes adultes sont toujours sous la menace d'une expulsion du pays (les moins de 18 ans sont protégés par la loi). Ils seraient plus d'un million.
Ils se sont surnommés "dreamers" ("les rêveurs") en référence au Dream Act, une loi qui aurait régularisé leur statut. Mais cette loi n'est jamais passée et Barack Obama s'est cantonné à un décret qui donne aux moins de trente ans une autorisation éphémère de conduire et travailler.
Sheridan a 22 ans dont 21 passés au Texas. Nous l'avons rencontré le jour de l'expiration de son permis de séjour. Il espère qu'il sera reconduit mais il y a toujours le risque d'être expulsé. Toute erreur (arrestation, condamnation) peut ramener à la frontière ce jeune homme qui ne connaît pas le Mexique. Et parler publiquement de son cas personnel est un risque non négligeable.
Sheridan Aguirre
Il a caché son statut d'illégal toute sa jeunesse, même à ses amis. Aujourd'hui, plus question de se taire.
12 octobre - Austin: "Gentrification"
Après avoir étudié le menu sur un grand tableau noir, on se tourne vers le serveur. Chapeau de travers, petite moustache lissée, chemise à carreaux boutonnée jusqu'au col, manche retroussées laissant apparaître un tatouage sur l'avant bras. On regarde discrètement, mais pas de doute possible, c'est une carotte.
Pour ne pas détonner, on commande un capuccino décaféiné au lait d'amande et une salade à base de kale et betteraves bio. Aux tables de ce charmant café qui était une maison habitée par des Latinos jusqu'en en 2010, les plus jeunes ont les yeux rivés sur leur Mac, les trentenaires discutent business.
Le patron, un grand type sympathique, est conscient des conséquences de l'implantation des "anglos" (raccourci d'anglo-saxons) sur le tissu social de ce quartier historiquement hispanique. Il assure faire de son mieux pour s'intégrer et entretenir de bonnes relations avec ses voisins. Il voudrait en parler plus longuement mais s'excuse, il doit aller chercher du lait de soja.
Le fossé entre riches et pauvres s'agrandit dans tous les Etats-Unis. Mais il est plus visible dans des villes de taille moyenne comme Austin où la densité de population est forte. Et le quartier East Cesar Chavez est devenu le Ground Zero de la gentrification.
L'arrivée de classes moyennes blanches n'est pas préméditée mais les changements démographiques se font au détriment des minorités que la hausse des taxes foncières poussent en dehors des limites du quartier.
11 octobre - Entre San Antonio et Austin
A San Antonio, à Austin, l'élection présidentielle passionne autant que dans le reste du pays. Peut-être plus depuis que Donald Trump a insulté et menacé la minorité hispanique. Pourtant, je n'ai pas entendu chez les Latinos les réactions outrées que Trump inspire aux Démocrates en général. On sentirait même une pointe de déception que le débat sur l'immigration se soit enlisé.
Certains accepteraient même un durcissement des lois sur l'immigration, à la condition que cela clarifie les conditions d'accueil et la situation ubuesque des immigrés qui sont illégaux tout en vivant aux Etats-Unis depuis des années. Mais pour la majorité des Hispaniques, Donald Trump est allé trop loin.
Le débat
Nous avons suivi le débat avec la famille Pena, dans leur échoppe de souvenirs mexicains.
10 octobre - San Antonio
"J'aime voir un homme fier de l'endroit dans lequel il vit et j'aime que l'endroit dans lequel il vit puisse être fier de cet homme." Abraham Lincoln n'y allait pas de main morte sur les sentences! Qu'aurait-il pensé de San Antonio aujourd'hui, capitale hispanique des États-Unis avec 60% de latinos?
Le Texas esclavagiste a bien changé. L'appellation "Mexicanos", comme ils se surnomment souvent aujourd'hui, a remplacé les "chicanos", terme qui renvoyait à une immigration méprisable. Ils sont aujourd'hui nombreux à être nés ici et en ce beau dimanche d'octobre, ils se baladent tranquillement downtown alors qu'à New York ils courent vers leur deuxième (voire troisième) boulot de la la journée. "Je n'ai jamais senti de discrimination" va jusqu'à affirmer l'un d'entre eux.
San Antonio, capitale de l'intégration? Pas tout à fait. Le concept d'assimilation selon les règles du creuset n'existe pas aux US. Comme on ne gomme pas les lignes de démarcations ethniques chacun a tendance à rester dans sa communauté, dans son quartier.
Nous ne sommes plus dans un "melting pot" mais dans un "salad bowl" et les statistiques montrent que les Américains se réjouissent de cette diversité. (Si on grossit ces statistiques: un tiers des Américains souhaitent la pluralité culturelle, un tiers voudrait que les immigrés s'assimilent, le dernier tiers se situant entre les deux).
9 octobre - De la frontière à San Antonio
La frontière s'éloigne, et avec elle les images d'une ville triste qui vit au rythme des passages furtifs et des petits trafics. Devant nous l'Amérique s'offre aux nouveaux arrivants en dévoilant d’abord ce qu'elle a de plus clinquant: ses centres commerciaux. La banlieue de San Antonio en regorge (voir photos) et les Mexicains, qu'ils soient touristes ou nouveaux immigrés, en raffolent.
Et voilà un nouveau préjugé qui tombe: les Mexicains ne traversent pas une rivière à la nage pour venir aux Etats-Unis, aujourd’hui la plupart obtiennent des visas ou viennent en visiteurs. Ainsi des dizaines de milliers d’entre eux sont venus s'installer dans la région de San Antonio ces dix dernières années. Plutôt aisés, voire riches, ces Mexicains investissent dans la pierre ou les affaires, et modifient progressivement la démographie hispanique du Sud du Texas.
Une avocate pour les immigrés
Nous avons rencontré Nelly Vielma, une avocate qui défend les immigrés depuis 15 ans. Elle se présente à l'élection municipale le 8 novembre. Elle a réuni ses soutiens dans un restaurant huppé près de la frontière.
8 octobre - Laredo
Laredo est certainement la plus mexicaine des villes américaines. Ses 250'000 habitants sont hispaniques à 97 pourcents. Ici on parle beaucoup espagnol et peu l'anglais. La ville semble vivre au rythme de la frontière et de ses abondances. Les voitures neuves, les fruits et légumes, la drogue et les immigrés, tous passent ici avant d'emprunter la route I35 qui les dispersera sur le territoire.
Notre route commence donc à la frontière. Et par une vision: celle d'une ruelle escarpée d'où surgissent, par grappes, des hommes tirant de lourdes valises, des jeunes femmes pimpantes, des écoliers aux cartables Disney ou des vieillards hébétés. Tous ont une bonne raison d'avoir patienté parfois des heures pour entrer aux Etats-Unis tandis que le couloir qui mène au Mexique reste vide. Il est 7 heures, l'Amérique se réveille et laisse entrer ses immigrés quotidiens. Une chose est sûre, eux sont levés depuis longtemps.
Le passage de la frontière expliqué par Alexandro Ruiz, responsable d'une ONG qui aide les migrants:
Les auteurs
Renaud Dumesnil (@nomadimages) a été le correspondant de la RTS au Proche-Orient de 1996 à 2007. Il travaille depuis aux Etats-Unis où il a réalisé des reportages et documentaires dans plus de 40 Etats avec le désir d'expliquer l'Amérique d'aujourd'hui.
Caleb B. Kuntz est caméraman et réalisateur. Il a grandi en Alaska. Passionné par l'exploration visuelle et l'interaction entre les humains et la nature, Caleb a été primé deux fois par l'American Society of Cinematographers pour son travail.