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"Les classes politiques balayées par les populismes ne font pas rêver"

Erwan Lecoeur. [DR]
Erwan Lecoeur, politologue et sociologue, spécialiste du populisme / L'invité de la rédaction / 21 min. / le 18 octobre 2016
Face aux populismes qui montent en puissance dans le monde, les élites traditionnelles ne parlent que de croissance. Pour le politologue et sociologue Erwan Lecoeur, ils ne donnent pas à rêver sur de grands sujets.

Le propre du populisme est qu'il construit un peuple par le discours, explique mardi Erwan Lecoeur au micro de la RTS. Tout d'abord, les populistes font comprendre à une partie de la population qu'il y a des élus (par la nationalité, la provenance ou ayant vécu un certain parcours) et il y a les autres. Ensuite, un certain rejet des élites fait que le peuple a une symbiose extrêmement forte.

Ce phénomène ne se cantonne pas seulement à l'Europe, mais se décline un peu partout, y compris parmi les plus grandes puissances du monde, comme l'Inde ou la Russie.

Le populisme rejette le pluralisme et veut réinsérer une forme de pureté originelle dans la politique et dans le peuple.

Erwan Lecoeur, politologue et sociologue.

Si beaucoup de personnes reprochent aux discours populistes de jouer sur les émotions, Erwan Lecoeur estime au contraire que l'émotion est le propre de toutes les politiques. "C'est d'ailleurs ce qui a manqué à un certain nombre de grands hommes politiques. Car la politique est d'abord une affaire de symboles." Parmi les émotions, le ressentiment, de droite comme de gauche, donnerait lieu à des politiques extrêmement puissantes.

Le manque de grands récits

Face aux propagandes populistes, les élites dites libérales semblent dépassées. "Il ne peut plus y avoir de politique sans grand récit", soutient Erwan Lecoeur, précisant qu'un grand récit ne rime pas avec "propagande outrageante et terrible". "Un grand récit aurait pu être quelque chose d'aussi simple que l'Europe."

Selon le politologue, cette classe politique, restée longtemps au pouvoir, a continué à parler de croissance et n'a pas su donner à rêver de l'Europe, ou d'autres grands sujets, comme l'environnement.

"On a l'impression que, depuis la fin de la guerre froide, on ne nous donne plus à rêver, sinon de grande guerre du pétrole en Irak et de grands défis identitaires et civilisationnels à travers le monde."

La vérité ne compte pas

Pour faire un bon discours politique, nul besoin de dire la vérité, c'est l'efficacité du propos qui compte. Le politologue cite en exemple Donald Trump, dont les deux tiers des affirmations depuis un an seraient fausses. L'important, selon Erwan Lecoeur, c'est d'user de ce qu'il appelle la "pensée magique", soit l'idée selon laquelle c'est possible, puisque quelqu'un en a parlé.

Le populisme est comme une publicité. Son but n'est pas qu'elle soit vraie ou fausse, mais qu'elle séduise une part de nous qui voudrait y croire.

Erwan Lecoeur, politologue et sociologue.

Quand bien même, dans un contexte d'après guerre froide, où un monde multipolaire de plus en plus complexe est à réinventer, il devient difficile de convaincre autour d'une seule vérité. "Chaque vérité ne vaut que quelques minutes avant d'être démontée par le biais d'internet et d'un tas d'autres arguments", développe le sociologue. Noyée dans un tas d'informations, la population chercherait surtout à donner du sens.

fme

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