RTS: Vous rentrez d'Irak, quelle est la principale préoccupation des organisations humanitaires telles que la vôtre face à une opération comme la reprise de Mossoul?
Caroline Abu Sa'Da: "Cette offensive, cela fait depuis 2014 qu'on sait qu'elle aura lieu. On a donc eu le temps de mettre en place des programmes médicaux, non pas à Mossoul qui est sous contrôle de Daech, mais dans le gouvernorat de Ninewa, où se trouve Mossoul, et au sud de cette ville. La principale préoccupation dans de telles circonstances est que les civils puissent trouver refuge, soins médicaux, eau et nourriture.
Personne n'a aucune idée du nombre exact de civils qui se trouvent encore à Mossoul
Personne n'a aucune idée du nombre exact de personnes qui se trouvent encore à Mossoul, qui était une ville de 1,5 million d'habitants. On ne sait pas non plus dans quelles conditions ces gens vivent à l'heure actuelle, ni comment et quand ils vont pouvoir fuir les combats. La situation sécuritaire est instable, car il y a aussi le spectre de combats sporadiques possibles même après la reprise de certains villages."
RTS: Concrètement quels moyens sont mis en place pour apporter une assistance adaptée aux personnes qui fuient les combats?
Caroline Abu Sa'Da: "Notre mission est basée à Bagdad, avec un projet à Tikrit, où nous avons des cliniques mobiles, et notre équipe qui compte une cinquantaine d'expatriés et d'Irakiens, déploie son aide médicale dans Tikrit même, dans le camp de Hajjaj-Silo, un lieu de "screening", établi au sud de Shirqat, une ville reprise fin septembre. Ce type de camps a été installé par les autorités irakiennes pour s'assurer que les civils en fuite ne sont pas affiliés à Daech. Nous sommes aussi présents dans le village d'Al Alam à l’est du Tigre, qui reçoit également de nombreux déplacés.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes se trouvent déjà dans le gouvernorat de Tikrit, Salah Ad Din, certains dans l'attente de pouvoir s'installer dans la région ou de pouvoir rentrer chez eux. Certains camps d'habitation sont aussi en train d'être construits par le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l'ONU et d'autres par le gouvernement irakien. Le nombre d'arrivées et de départs fluctue lui chaque jour selon les combats, cela va d'une dizaine à des centaines de personnes au quotidien."
RTS: Qu'est-ce qui vous a marquée chez les civils rencontrés dans ce camp?
Caroline Abu Sa'Da: "Ces gens sont très clairement en état de choc. Ils viennent de passer deux ans de vie dans des conditions difficiles, avec très peu d’accès aux soins, et se sont souvent enfuis en ayant tout juste le temps d'attraper leurs enfants par la main. Ce sont des personnes qui sont dans une situation de stress mental élevé et c'est la première fois que je rencontre autant de gens qui nous réclament un soutien psychologique par eux-mêmes. Et cela même au sein de notre équipe, à Médecins sans frontières.
D'un point de vue humanitaire, cette bataille arrive après deux ans de conflit ouvert et des décennies de guerre
A cette détresse psychologique s'ajoute le fait que ces gens n'ont plus suivi aucun traitement depuis des années, y compris pour les maladies chroniques. Il y a également beaucoup d'infections en tout genre, respiratoires, dermatologiques, etc. Il est impératif de pouvoir se rendre au plus près des personnes en fuite. Certaines équipes tentent actuellement de remonter vers le nord, en direction de Mossoul."
RTS: En quoi le contexte irakien actuel diffère-t-il d'autres situations auxquelles vous avez été confrontée?
Caroline Abu Sa'Da: "Il faut bien voir que la bataille de Mossoul arrive après deux ans de conflit ouvert et des décennies de guerre en Irak. Même à Tikrit, où nous sommes basés, il n'y a plus un seul hôpital qui tienne debout. Ce sont des régions déjà très endommagées par ces décennies de guerre, avec un système de santé qui a beaucoup souffert depuis le début de l'invasion américaine en 2003 et même avant, sous le régime de Saddam Hussein, à cause du régime de sanctions internationales."
Propos recueillis par Juliette Galeazzi
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