"A 7 heures du matin, ils ont encerclé notre maison. J'étais avec mon mari. Ils ont dit: 'ton dernier jour est arrivé'", témoigne une femme, regard sombre, dans "Boko Haram - Les origines du mal" de Xavier Muntz. Cette enquête -glaçante- embarque le spectateur du côté de Maiduguri, la capitale de l'Etat du Borno, une région du nord du Nigeria meurtrie par les atrocités du groupe djihadiste.
Comme cette femme, plus de deux millions de déplacés ont fui exécutions, viols et pillages, et quelque 32'000 civils ont perdu la vie lors de massacres imputés à ce groupe qui a prêté allégeance à l'Etat islamique au printemps 2015.
Boko Haram, c'est une organisation sans foi ni loi engagée dans un carnage. Il n'y a pas d'islam là-dedans
"Ce n'est pas un djihad, c'est un génocide. Boko Haram, c'est une organisation sans foi ni loi engagée dans un carnage. Il n'y a pas d'islam là-dedans", accuse Adam Muhammad Ajiri, professeur en études islamiques à l'Université de Maiduguri, interrogé dans le film.
Moraliser le monde politique grâce à la charia
Décryptant à l'aide de témoignages croisés l'ascension de ce qui n'était au départ qu'une secte islamiste populaire auprès des musulmans de cette région pauvre et rurale du Nigeria, par opposition au sud riche en pétrole, Xavier Muntz explore les racines de ce djihad version africaine, et attribue un rôle non négligeable à l'armée nigériane pour expliquer son ultraviolence.
Prétextant lutter contre la corruption généralisée des élites depuis le retour de la démocratie au Nigeria en 1999, la secte islamiste Boko Haram voulait à l'origine moraliser le monde politique grâce à une application stricte de la charia, explique le reporter dans "Boko Haram - Les origines du mal". Or, cela n'était pas possible dans une République fédérale, note dans le film le spécialiste du Nigeria, Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Il n'empêche, l'argument sera repris par le gouverneur de l'Etat du Borno, Ali Modu Sherrif, en quête d'une réélection.
Mohamed Yusuf, c'était la colombe dans Boko Haram. Après, les faucons ont pris le pouvoir
De promesses non tenues en incidents plus ou moins provoqués par les autorités, ou supposés l'avoir été, l'armée nigériane finit par intervenir contre les membres de Boko Haram, non sans quelques abus (lire encadré). Arrêté, le leader spirituel du Boko Haram des débuts, Mohamed Yusuf, sera tué sans autre forme de procès en 2009. "On a appris qu'il y avait un ordre du gouvernement de l'époque de l'abattre", assure le professeur nigérian Adam Muhammad Ajiri.
Un point de bascule
"Mohamed Yusuf, c'était la colombe dans Boko Haram. Une fois qu'il a été tué, le groupe s'est désintégré dans des petites cellules autonomes et clandestines. Après, les faucons ont pris le pouvoir et déclaré qu'il n'y avait pas d'autres moyens que de mener le djihad, et une guerre sans merci et sans fin à l'Etat nigérian", analyse Marc-Antoine Pérouse de Montclos, de l'Institut de recherche en développement, à Marseille.
C'est le point de bascule vers le chaos. Quelques mois plus tard, en juillet 2010, Boko Haram lance ses premières actions terroristes dans l'Etat du Borno sous la direction de son nouveau chef, Abubakar Shekau, mettant à feu et à sang toute la région, et entraînant une répression féroce par l'armée et les services de sécurité, avec les conséquences que l'on sait.
>> Documentaire diffusé sur la RTS Deux dimanche soir
Juliette Galeazzi
L'armée nigériane accusée de viols dans des camps de réfugiés
Outre l'ultraviolence de Boko Haram, les habitants du nord-est du Nigeria ont également été soumis aux exactions des soldats et policiers nigérians. C'est ce que rappelle Xavier Muntz dans son documentaire. C'est aussi le phénomène sur lequel l'organisation Human Rights Watch (HRW) a mis en avant le 31 octobre dernier accusant des responsables militaires nigérians.
HRW affirme avoir en juillet recensé 43 femmes et filles dans sept camps de déplacés de Maiduguri, capitale de l'Etat du Borno, qui ont été abusées sexuellement par des responsables de camps, des membres de milices d'autodéfense, des policiers et des soldats après avoir été victimes des djihadistes de Boko Haram.
"C'est honteux et scandaleux que les personnes qui sont censées protéger ces femmes et ces filles les attaquent et abusent d'elles", dénonce Mausi Segun, chercheur de l'ONG, dans un communiqué.
Boko Haram perd du terrain, la menace plane toujours
En décembre 2015, le président nouvellement élu du Nigeria, Muhammadu Buhari, déclarait Boko Haram "techniquement défait". Une affirmation assurément prématurée, comme l'a démontré le groupe lui-même qui orchestre encore régulièrement des attaques au Nigeria et dans les pays voisins que sont le Niger, le Tchad et le Cameroun.
Début août 2016, le groupe EI a désigné Abou Moussab al Barnaoui, gouverneur de l'organisation islamiste pour l'Afrique de l'Ouest, comme s'est rebaptisé Boko Haram, depuis qu'il a prêté allégeance à l'organisation djihadiste. Il remplace Aboubakar Sekaou, donné pour mort à plusieurs reprises par l'armée nigériane.
Si certains villages ont été libérés, la menace plane toujours dans la région. Outre les attaques, qui visent mosquées, écoles et même camps de réfugiés, la famine guette des millions de personnes. En juin, 1200 personnes sont mortes de faim dans le camp de Bama, au sud de Maiduguri, selon Médecins sans frontières.