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"La France s'est lâchée sur ses angoisses après le 13 novembre 2015"

Raphaël Liogier, sociologue et philosophe.
L'invité de la rédaction - Raphaël Liogier, professeur à l'IEP d'Aix-en-Provence. / L'invité de la rédaction / 20 min. / le 11 novembre 2016
Alors que Paris prépare les commémorations des attentats du 13 novembre, le sociologue français Raphaël Liogier estime sur les ondes de la RTS que "la France s'est lâchée sur ses angoisses" après ces attaques qui ont fait 130 morts.

"Ces angoisses étaient déjà potentielles depuis plusieurs années", estime le sociologue et philosophe interviewé vendredi dans le Journal du matin. Il cite notamment l'obsession identitaire et le rejet de la globalisation et de l'immigration.

Pour Raphaël Liogier, les attentats qui ont frappé la France ont été vécus comme une preuve symbolique que la société est assiégée, en guerre, alors qu'elle ne l'est pas sur le fond.

"Déprofessionalisation du terrorisme"

"Le phénomène même du djihadisme s'est développé très spécifiquement ces dernières années, avec la déprofessionalisation du terrorisme", analyse également le sociologue. Des personnes se sentant exclues symboliquement de la société et cherchant à donner un sens à leur vie deviennent djihadistes. Le phénomène est un produit de la fracture sociale et économique, avant d'être un fait religieux, d'après lui.

Plutôt qu'une "islamisation de la radicalité", selon l'expression du politologue Olivier Roy, "nous sommes face à une islamisation de l'extrémisme violent", juge Raphaël Liogier. Selon lui, certaines personnes se sentant exclues décident aujourd'hui de commettre des attentats comme d'autres choisissent de se suicider.

Ce n'est pas par le salafisme que l'on passe au terrorisme

Raphaël Liogier, sociologue et philosophe

"Mais ce n'est pas par le salafisme que l'on passe au terrorisme", estime celui qui dirige l'Observatoire du religieux d'Aix-en-Provence. Les salafistes s'excluent eux-mêmes de la société, à l'image des Amish en Amérique du Nord, mais ne prônent pas un islam politique, explique-t-il.

D'après Raphaël Liogier, c'est une fois que les djihadistes ont choisi la voie de l'extrémisme qu'ils se donnent une posture et s'islamisent, suivant les pas de "héros", devenant des "ennemis", une figure qui flatte leur ego.

Besoin de changement

Face à ce constat, la société a besoin d'un changement radical, déclare celui qui vient de publier un ouvrage intitulé "Sans emploi: condition de l'homme postindustriel".  Le système capitaliste, fondé sur le culte du travail et de l'accumulation de l'argent doit être entièrement revu, afin de mettre fin aux exclusions, analyse Raphaël Liogier.

"Nous sommes dans une société où existe un culte de l'emploi, explique-t-il. Or, aujourd'hui le plein emploi n'est plus possible" avec la robotisation du monde du travail. Pour le sociologue, l'instauration d'un revenu de base inconditionnel constituerait une voie vers un changement radical.

"Aujourd'hui, on sait qu'on ne peut pas donner du travail à tous", estime Raphaël Liogier. Plutôt que de soutenir ceux qui sont à la limite de l'exclusion via des allocations chômage ou une aide sociale, un revenu universel constituerait une base à compléter par une multitude d'activités.

tmun

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"Les mauvaises réponses aux bonnes questions" avec Trump

Ceux qui ont voté pour Donald Trump aux Etats-Unis ont compris ce besoin d'un changement radical dans les sociétés occidentales, estime le sociologue et philosophe Raphaël Liogier. "Nous sommes dans une société où il y a davantage d'abondance et davantage d'exclusion", un constat que font les électeurs également, analyse-t-il.

Mais l'alternative proposée aux Américains représentait un dilemme: entre Hillary Clinton, l'image même du système actuel, et Donald Trump et son populisme défensif. Alors que le monde vit une des plus grandes transitions historiques avec "l'écrasement du travail", les décideurs continuent de proposer les mêmes solutions. Aux Etats-Unis comme en France, "pas un homme politique n'est prêt à faire ce changement de système", estime Raphäel Liogier.