"Tout le monde avait fait un pari sur la personnalité de Bachar al-Assad. On pensait que son côté occidental ferait de lui un réformateur et, s'il n'y avait pas eu les manifestations de 2011, cela aurait peut-être été le cas", explique à la RTS Antoine Vitkine, réalisateur de "Bachar, moi ou le chaos", diffusé dimanche soir.
Précipité dans l'ordre de succession après le décès accidentel de son frère aîné, Bachar al-Assad, l'ophtalmologue formé au Royaume-Uni et marié à une banquière londonienne, devient président en 2000. Il aime conduire sa voiture lui-même et écouter quelques vieilles chansons françaises, rappellent des images d'archives présentées dans le film. Mais très vite, l'espoir laisse place à la désillusion. Lors du Printemps arabe, il réprime durement le soulèvement populaire en Syrie. Cette répression sera le point de départ d'une guerre civile ayant fait près d'un demi-million de morts.
Bachar al-Assad révèle aussi quelque chose sur nous, les Occidentaux, et notre place dans le monde
"Mon but n'était pas de faire un portrait intime, mais de cerner sa personnalité en croisant les points de vue. Sa figure révèle aussi quelque chose sur nous, les Occidentaux, et notre place dans le monde", note Antoine Vitkine. Pour lui, la Syrie marque "la fin de l'illusion de l'Occident de peser dans le monde, l'entrée dans l'ère de l'impuissance et du réalisme".
Basculement en 2013
Le basculement a lieu en août 2013, estime le documentaire, lorsque les Etats-Unis renoncent à punir le régime syrien qui est pourtant soupçonné d'avoir utilisé des armes chimiques contre des civils près de Damas, franchissant ainsi la ligne rouge qu'avaient fixée les Occidentaux. Principal argument du président américain Barack Obama: le risque d'engrenage trop élevé et le chaos que pourrait créer le départ de Bachar al-Assad.
"C'est le discours de tous les dictateurs au Moyen-Orient de se poser en garants de la stabilité", observe le chercheur de l'Université de Lausanne, Joseph Daher, interrogé par la RTS. Opposant de gauche au régime de Damas, ce Suisse d'origine syrienne met toutefois en garde: "Les dictatures ont favorisé l'émergence de groupes fondamentalistes islamiques pour asseoir leur pouvoir."
"C'est toute la démarche de Bachar al-Assad de dire: 'Je ne suis peut-être pas un saint homme', mais les autres sont tellement épouvantables qu'il faut me soutenir. Il en joue, et il en joue habilement", analyse également l'ex-chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, dans le film.
Un côté "Teflon"
Avec ses allures de cadre supérieur, le président syrien s'est transformé en criminel de guerre sans se départir de son air imperturbable lors des entretiens qu'il accorde régulièrement à la presse internationale.
"Ce qui est intéressant chez lui, c'est son côté Teflon. Rien ne semble l'atteindre", se souvient le journaliste de Paris Match, Régis Le Sommier, qui l'a rencontré fin 2014.
Personne ne doute plus du cynisme de ce bon docteur qui s'était posé en réformateur à son arrivée au pouvoir
"Personne ne doute plus du cynisme de ce bon docteur qui s'était posé en réformateur à son arrivée au pouvoir", confirme à la RTS Souhaïl Belhadj-Klaz, chercheur à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève. "Au vu de la situation actuelle, il est toutefois évident que Bachar al-Assad et ses alliés ne gagneront pas à long terme. Jamais ils ne pourront assurer la domination sur tout le territoire ni retrouver leur légitimité. Le régime va agoniser longtemps avant de se désagréger comme l'URSS", prédit-il.
Un combat idéologique
Il n'empêche, aux journalistes qu'il a accepté de rencontrer, dont les Alémaniques de SRF, Bachar al-Assad ne cesse de répéter qu'il est de son devoir "de défendre son pays contre le terrorisme qui a envahi la Syrie".
>> Voir les extraits de l'entretien fait par SRF : Bachar al-Assad est "certain de gagner la guerre en Syrie"
"Si ce n'était pas lui, ce serait le chaos; c'est ce qu'il dit, mais s'il reste, la guerre va continuer", résume son opposant de l'Université de Lausanne, Joseph Daher. Et de conclure: "La seule vraie condition pour la paix, c'est le départ d'Assad et de ses colistiers au pouvoir, le jugement de tous les criminels de guerre, dont il fait partie, et une transition politique vers un ordre démocratique, social et laïc sans discriminations ethnique et confessionnelle."
Juliette Galeazzi