"La première chose qui frappe en Arabie saoudite, c'est que ce n'est pas un pays riche aux bâtiments ostentatoires comme peuvent l'être Bahreïn ou Dubaï", confie la journaliste française Julie Lerat, auteure du documentaire "Arabie saoudite - les liaisons dangereuses".
Diffusé dimanche soir sur RTS Deux, le film (également visible ci-dessus) s'interroge sur le rôle du royaume dans le développement des mouvements djihadistes et terroristes.
Sonnette d'alarme
Confronté à une forte croissance démographique, avec un habitant sur deux âgé de moins de 25 ans, l'Arabie saoudite -qui compte désormais 32 millions d'habitants- subit de plein fouet la baisse des cours de l'or noir depuis mi-2014 (lire encadré).
Conséquence: le pays, habitué à vivre de ses rentes de premier exportateur mondial de pétrole, s'est retrouvé avec un déficit budgétaire correspondant à 20% de son PIB fin 2015, ce qui n'a pas manqué d'alerter le Fonds monétaire international (FMI), qui a tiré la sonnette d'alarme.
Le royaume doit en outre faire face à une transition politique épineuse et au retour sur la scène internationale de son ennemi de toujours, l'Iran.
Diversifier l'économie
Dans ce contexte, et alors qu'un jeune sur trois est au chômage, les autorités saoudiennes ont été sommées par le FMI d'entreprendre des réformes structurelles indispensables afin de diversifier son économie qui dépend actuellement à 90% des recettes du pétrole.
Le défi, maintenant et pour l'avenir, consiste à trouver d’autres sources de revenu et de croissance pour maintenir le niveau de prospérité actuel
"Les exportateurs de pétrole doivent s’atteler à la difficile tâche de stimuler la croissance dans une conjoncture de faibles recettes budgétaires et de compression des dépenses", a expliqué Masood Ahmed, directeur du Département Moyen-Orient et Asie centrale au FMI, lors de la présentation d'un rapport publié le 19 octobre 2016.
"Le défi, maintenant et pour l'avenir, consiste donc à trouver d’autres sources de revenu et de croissance pour maintenir le niveau de prospérité que beaucoup de ces pays ont connu jusqu'à présent", a-t-il ajouté.
Changement de paradigme
Mais dans cet Etat-providence, où près de trois quarts des habitants sont employés comme fonctionnaires, la réduction de la masse salariale du secteur public représente un véritable changement de paradigme.
L'Arabie saoudite est un pays où le peuple a l'habitude d'être pris en charge du berceau à la tombe
"L'Arabie saoudite est un pays où le peuple a l'habitude d'être pris en charge du berceau à la tombe", note la journaliste Julie Lerat qui a passé quinze jours dans le royaume pour le tournage de son film.
Des réformes en cours
Chargé par son père de mener la réforme qui doit permettre au pays de s'adapter à un pétrole bon marché, le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane a présenté en avril 2016 le plan "Vision 2030", dont l'une des mesures phares prévoit l'ouverture d'environ 5% du capital de la Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationalisée en 1980.
La mise en Bourse de cette société opaque, estimée entre 2000 et 3000 milliards de dollars par Ryad, pourrait rapporter plus de 100 milliards de dollars, selon les estimations. De quoi financer quelques investissements extérieurs et une transition économique.
Le véritable enjeu pour les autorités est de préparer la jeunesse saoudienne à une nouvelle réalité
Mais selon Sébastien Wesser, qui a coordonné un numéro de la revue "Orients stratégiques" consacré à l'Arabie saoudite, "le véritable enjeu pour les autorités est de préparer la jeunesse à une nouvelle réalité". "Fini les emplois de fonctionnaires surpayés et sans véritables objectifs", résume Julie Lerat. "Les gens ont compris qu'il allait falloir travailler. Ils vont devoir apprendre à respecter des horaires et s'adapter à certaines exigences de rendement", précise l'auteure du documentaire.
Développer le secteur privé
Très en retard dans une Arabie saoudite qui n'a jamais cherché à développer son tissu industriel, le secteur privé va devoir absorber une nouvelle main-d'oeuvre peu habituée à la réalité internationale du marché de l'emploi et l'encourager. Des quotas de Saoudiens ont même été introduits dans les entreprises où jusqu'ici les cadres étaient le plus souvent des expatriés, détaille encore la journaliste. Les créations d'entreprises seront également encouragées.
Mais une telle transition économique pourrait-elle déboucher sur une transition culturelle en Arabie saoudite, un pays particulièrement fermé et régi par la loi islamique? Difficile à dire, estime Julie Lerat.
La place des femmes en question
Certains sujets sont évoqués dans la presse saoudienne, raconte-t-elle. Le travail des femmes, notamment. "Si les Saoudiens doivent se remettre au travail, il est difficile d'imaginer que la moitié de la population reste à la maison à faire la cuisine", commente-t-elle. Mais une arrivée significative des femmes sur le marché de l'emploi déboucherait sur d'autres débats comme le droit de conduire.
Cette thématique, largement médiatisée dans la presse étrangère, n'est d'ailleurs pas taboue en Arabie saoudite. L'humoriste Hisham Fageeh a même fait le buzz sur YouTube avec un titre intitulé "No Woman, No Drive", une reprise parodique du titre de Bob Marley "No Woman, No Cry".
Liberté d'expression
Il ne faut pas se leurrer, met toutefois en garde la journaliste française. "Si les Saoudiens autorisent des journalistes à faire des reportages sur les femmes, c'est parce que pendant qu'on parle de ça, on ne parle pas d'autres sujets qui fâchent comme la démocratie ou la religion".
Car dans le royaume, où les salles de cinéma restent interdites, un tiers de la population était inscrite sur le réseau social Twitter en 2013. La liberté d'expression reste pourtant loin d'être acquise. Comme le rappelle le cas du blogueur Raïf Badawi, condamné à mille coups de fouet et dix ans de prison pour apostasie et insulte à l'islam.
Juliette Galeazzi
Arabie saoudite, Occident et djihadisme: un doc sur des liaisons dangereuses
Quel est le rôle de l'Arabie saoudite dans le développement des mouvements djihadistes et terroristes? Le documentaire de Julie Lerat, réalisé par Claude Trinquesse, diffusé dimanche à 21h10 sur RTS Deux, donne des clés pour comprendre l'une des sociétés les plus conservatrices du monde où pouvoirs politiques et religieux sont étroitement liés.
Le film explique notamment comment et pourquoi, au cours de l'histoire récente, cette monarchie absolue a propagé le wahhabisme dans le monde, une doctrine religieuse qui flirte avec les mouvements djihadistes et terroristes. Il montre également des images rares tournées en Arabie saoudite, sous l'oeil du ministère de l'Information, mais sans restrictions quant au contenu du projet.
Un cours du pétrole bas, la nouvelle norme
La chute des prix du brut, de 114 dollars en juin 2014 à 50 dollars aujourd'hui, a eu un impact non négligeable sur les finances des pays producteurs de pétrole. Selon les projections du FMI, en octobre 2016, le cours devrait rester bas et atteindre tout juste 60 dollars le baril en 2021, très en deçà des pics supérieurs à 100 dollars enregistrés il y a seulement deux ans.
La décision de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) réunis le 30 novembre à Vienne de réduire leur production dès janvier, si elle a entraîné une hausse des cours ne devrait pas inverser la donne, selon de nombreux experts.